1. Au dessus des nuages

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Gabriel aurait bien tiré une dernière fois sur sa cigarette électronique, là tout de suite.

Il était lessivé. La veille, pendant son compte-rendu du Conseil des ministres, il s'était encore un fois retrouvé à devoir justifier des propos de son cher Emmanuel Macron qui avaient créé la polémique plus tôt dans la semaine. Ce qu'il considérait être son devoir et son honneur au début de sa nomination comme porte-parole du gouvernement devenait une véritable corvée. Debout derrière son pupitre, devant des journalistes d'humeur belliqueuse qui ne cessaient de l'assaillir de questions, il s'était senti comme sur un peloton d'exécution.

À ce stade, c'était son ambition et sa soif de faire ses preuves qui lui donnaient encore la force de continuer. Alors il avait patiemment répondu aux questions, enchaîné les réunions interminables à l'Elysée et les interviews avec la presse jusqu'à tard dans la soirée.

Il avait espéré que son déplacement à Marseille ce matin, quoique professionnel, puisse lui offrir une courte trêve à l'agitation et l'incessant brouhaha de la vie à Paris. La cabine Business d'Air France lui assurait d'habitude un voyage tranquille. En une heure et demie, il pouvait bien piquer un somme. Il était en effet difficile d'ignorer les cernes grandissants sous ses yeux ; il avait du sommeil à rattraper. Il pouvait également en profiter pour travailler sur ses derniers dossiers, ou consulter les dernières actualités politiques sur ses réseaux sociaux. À son poste actuel, c'était une activité qui s'était rapidement révélée indispensable.

Mais alors qu'il venait enfin de trouver son siège, il constata avec déception qu'il avait un voisin, directement à sa droite.

Face à lui était assis un homme portant un masque en tissu noir, abaissé au niveau de son menton et laissant voir un profil aux traits finement ciselés. Des cheveux bruns coupés courts, un nez droit et de larges épaules qui se dessinaient sous le tissu impeccable de sa chemise.

Un visage attrayant, mais un visage qui lui était avant tout familier.

Jordan Bardella, député européen et vice-président du Rassemblement National. Gabriel avait suivi son ascension politique fulgurante de près. Désigné comme tête de liste du RN aux élections européennes de 2019 à seulement 23 ans, il avait mené son parti à la première position du scrutin, avec un petit pourcent d'avance face au camp présidentiel. Jordan et lui étaient tous deux vus comme des jeunes prodiges de la politique. Gabriel s'était donc tout naturellement intéressé à son profil.

Garde tes amis près de toi et tes ennemis plus près encore, se rappelait-t-il.

Et puis.... Accessoirement, ils avaient vécu ensemble ce que l'on pourrait qualifier d'une amourette de vacances. C'était juste un coup d'un soir, le résultat d'une soirée plutôt bien arrosée et de leurs hormones galvanisées par l'été et leur jeune âge - c'était il y avait quoi, six ans ? Ou peut-être plus encore, Gabriel n'était pas sûr.

Ce dont il se souvenait encore en revanche, c'était la peau brûlante de Jordan sous ses mains, sous ses lèvres, et contre son propre corps. Frissonnant au moindre contact, le jeune homme avait semblé à fleur de peau. Il lui avait alors avoué qu'il était sa première expérience homosexuelle. Une confession qui avait causé un redoublement de tendresse des gestes de Gabriel. Il avait été touché par son authenticité, et cela s'était traduit dans la danse sensuelle de leurs corps cette nuit-là. Si bien que Gabriel lui avait laissé son numéro.

A l'époque, il ne connaissait pas ses convictions politiques. Il ignorait que Jordan était déjà affilié à l'extrême droite. S'il avait su... Les choses se seraient probablement déroulées différemment.

Depuis, Gabriel était passé à autre chose. Il ne regrettait pas cette aventure, (coucher avec un rival extrémiste n'est pas une erreur quand on n'est pas au courant que cette personne est un rival extrémiste), mais ce n'était clairement pas quelque chose qu'il s'imaginait réitérer aujourd'hui. De toute manière, Jordan n'avait même pas daigné le recontacter alors que la balle avait été laissée dans son camp.

Un Fil (Bleu, Blanc) RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant