Chapitre 6

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  J'ai passé la nuit à faire des recherches sur l'ordinateur de mon père.
 
  Je l'avais volé il y a environ un an pour jouer à un jeu vidéo qui venait de sortir, et comme il ne me l'avait jamais réclamé, je l'avais gardé.

  J'étais donc installée sur mon lit, sous la couette car je ne voulais pas que la lumière de l' écran réveille mon père, qui dormait dans la pièce d'à côté, lorsque je trouva l'information que je cherchais.

"Un fou à Brazzaville :
  Durant la nuit du sept au huit septembre, au Congo, un soldat assassine de sang froid trois de ses camarades avant d'être maîtrisé. Ces amis jurent pourtant qu'il était sain d'esprit.
Enquête de nos journalistes Mylan Erek et Damien Fortaleza"

  Le reste de l'article était composé en grande partie d'hommage aux morts, me permettant de vérifier que mes parents étaient bel et bien les malheureuses victimes.

  Les larmes commencent doucement à couler sur mes joues tandis que la colère gronde en moi.

  Je saisis un bloc - note rouge qui traine sur mon bureau et un stylo, et commence à me défouler sur les petites pages à carreaux.

  Je gribouille autant que je peux, essayant de canaliser mon énergie dans les traits sombres que je dessine.

  Mais peut à peut, mes dessins se transforme en mots. Des mots rageux couverts de gribouillis, mais des mots quand même. On aurait dit le début d'une chanson.

Je regarde ce que j'ai écrit avec attention.

Il était une fois, dans une maison sans toit,
Une petite fille qu'on nomma la vivante Aïsha...

Ça m'a fait du bien.

Ces mots sans sens m'ont fait un bien fou.

  La douleur brûle toujours dans mon cœur, et j'avais l'impression qu'elle brulerai à jamais. Comme ça je ne les oublierait pas. Ils resteront toujours dans ma mémoire, même si je ne les ais pas connus. C'était bien.

  Là, en plein milieu de la nuit, une idée traversa mon esprit.

Écrire une chanson.

  J'observe durant de longues minutes le bloc note et les mots inscrits à l'intérieur.

Je sais ce que doit écrire. Je me refuse à le faire. Parce que les mots qui suivent ont quelque chose de particulier, et je sens que si je les inscrit sur le papier, ça aura des conséquences.

Des conséquences plutôt mauvaises.

Mais ma volonté ploie sous cette phrase étrange, et ma main se mets à la noter dans le carnet rouge.

Elle reçu comme cadeau des dieux
La faculté de voir sans yeux.

Je lache le stylo, qui roule sur le lit puis tombe par terre, avec un bruit cristallin. J'entends mon père grogner dans son sommeil.

  Je récupère lentement le stylo, et mon regard est à nouveau attiré par le début de cette chanson étrange.

Il était une fois dans une maison sans toit,
Une petite fille qu'on nomma la vivante Aïsha...
Elle reçu comme cadeau des dieux,
La faculté de voir sans yeux...

  J'avais l'impression que ce n'était pas que des mots.

  Non, c'est faux, ce n'était pas qu'une impression. J'en étais certaine.

  C'était bizarre. Je le savais, je le sentais inscrit dans mes veines. Je le savais, comme je connais mon prénom ou mon âge.

  Je relu la dernière phrase. Je n'arrivais pas à me la sortir de la tête.

La faculté de voir sans yeux...

Ça voulait dire quoi, ça ?

  À chaque fois que mes yeux se posaient sur ces mots, je sentais quelque chose dans mon estomac se tordre. Un léger malaise. Cette phrase était importante. Elle avait un pouvoir, que je ne comprenais pas vraiment, mais je le savais.

  J'avais déclenché quelque chose en écrivant cette phrase. J'avais déclenché quelque chose en pensant cette phrase.

Quelque chose de puissant.

  Ou alors était-ce cette chose qui m'avait fait écrire la phrase ? Je ne savais pas.

  Si j'étais su, justement, que bientôt je n' ignorerais plus rien...

 

 
 

Le Sablier 1: Le temps où nous étions enfantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant