xiii - la boîte d'allumettes de mes seize ans

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le jour où G. m’a offert une boîte d’allumettes pour mes seize ans,
j’ai pensé, moi qui n’aurait jamais cru passer ce cap là,
j’ai pensé quel beau cadeau pour fêter le deuil de la mort,
pour la faire brûler comme j’aurais aimé regarder mon corps partir en cendres.
quel beau cadeau pour en brûler les vestiges dans un bol en verre orange balancé par la fenêtre.


quoi de mieux qu’une boîte d’allumettes pour penser à ses fantômes ?
les différentes parties de son corps et de ses boyaux partis au fur et à mesure que les enterrements s'enchaînent,
un coup pour une fiole de larmes,
l’autre pour le souvenir de papa,
mourir pour ne plus penser à la mort quelle drôle d’idée,
et quel beau cadeau cette boite d’allumette,
mais pourquoi faire si ce n’est pour en alimenter le souvenir ?







dans le feu il y a ce qui ne résidera plus mais aussi et surtout le souvenir de ce qui demeure,
alors la boîte d’allumettes quelque part dans ma poche se retrouve de plus en plus vide
avortée de son contenu plus les mois et les mois passent —
parce qu’à chaque flambée je m’imagine l’ombre de mes fantômes à moi, ceux que mon corps peut plus soutenir.

à chaque mort c’est un de plus qui marche derrière moi, cousu quelque part sous  ma glotte, derrière mes globes oculaires, dans la paume de ma main.
à chaque anniversaire son fantôme,
alors c’est comme me rapprocher un peu plus d’eux.

je me souviens de G. qui me lance la boîte d’allumettes dans les mains et moi qui pleure fort et trop bruyamment moi qui n’ai jamais pleuré devant lui je me sens mal à l’aise de prendre autant de place mais tout de suite il se lance dans des explications comme lui seul le ferait alors j’écoute avec attention et je vais me saisir des quelques feuilles qui résident dans le classeur noir de mes onze ans

difficile de faire brûler ses onze ans quand deux mille dix huit est la date inscrite sur sa sépulture.

le feu,
j’ai toujours eu peur du feu je crois du plus loin que je me souvienne alors craquer une allumette c’est déjà beaucoup.
c’est G. qui m’avait appris, quelques mois avant,
dans sa chambre en haut de son appartement,
une quarantaine d’allumettes plus tard je n’avais plus peur,
ou en tout cas plus suffisamment pour appréhender leur embrasement.

désolé pour l'absence j'étais trop occupé-e a m'inhumer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant