L'étincelle de révolte

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Les jours suivant sa terrible punition, Emily resta prostrée au fond du chenil, les poumons encore brûlants des relents d'alcool qui l'avaient menée aux portes de la mort.

Pourtant, Alexander ne sembla pas vouloir lui laisser de répit. Chaque matin, il venait la détacher et l'emmenait faire ses besoins à l'extérieur, peu soucieux des regards suppliants qu'elle lui lançait. La routine humiliante reprenait implacablement son cours, comme si rien ne s'était passé.

Ce fut lors d'une de ces sorties matinales que tout bascula. Emily, à genoux au bout de sa laisse infamante, leva soudain des yeux embués de larmes vers son maître impassible.

"Je... je suis désolée..." bredouilla-t-elle d'une voix chevrotante. "Désolée pour ce que j'ai été... pour tout ce que j'ai gâché par mes faiblesses..."

Un lourd silence accueillit sa confession, seulement rompu par les sanglots naissants d'Emily. Alexander la considéra longuement avant de lâcher :

"Ce n'est pas à moi que tu dois demander pardon. C'est envers toi-même que tu as failli."

Ses paroles âpres frappèrent Emily avec la force d'une évidence. Il avait raison... Ses addictions, ses errements, elle était sa propre pire ennemie à s'être ainsi détruite. Un flot de larmes brûlantes roula sur ses joues tandis qu'elle s'effondrait à genoux, terrassée par le poids de sa propre affliction.

"Je... je vous demande pardon..." hoqueta-t-elle entre deux sanglots déchirants. "À moi, celle que j'aurais pu être ! Je ne veux plus être comme ça !"

Son corps fut secoué de violents soubresauts tandis que les aveux, les regrets et les serments d'une renaissance purificatrice se déversaient en un flot intarissable. Emily laissa les mots jaillir, confessant ses lâchetés et ses échecs avec une fraîcheur catharactique.

Et soudain, au paroxysme de cette libération, elle sentit son corps se délester d'un dernier fardeau. Un flot chaud et involontaire se répandit entre ses jambes tandis qu'Emily urinait longuement, soulagée d'expulser ces dernières toxines de son être.

Lorsque le flot se tarit, elle leva un regard apaisé vers Alexander. Son âme venait d'être lavée de ses hontes, libérée du poids de sa culpabilité écrasante. Une nouvelle femme se tenait devant son maître, prête à renaître enfin dépouillée de ses vieux démons.

Un bref instant, Alexander croisa les prunelles d'Emily avec une intensité nouvelle. La lueur d'approbation qui traversa ses yeux d'acier ne fit que confirmer ce que la jeune femme pressentait : elle avait réussi son premier test, franchi la première étape de sa renaissance.

Alexander hocha lentement la tête avec cette même expression indéchiffrable et profonde qu'il arborait si souvent. Mais Emily y décelait à présent comme une forme de respect tacite.

"Tu as fait un grand pas aujourd'hui," lâcha-t-il finalement d'une voix rauque.

Emily frissonna à ces mots dénués du moindre sarcasme. C'était la première fois qu'Alexander lui adressait des paroles d'une telle sobriété, presque une forme d'égal à égal malgré leur situation respective.

"Mais ne crois pas que tu es pleinement libérée de tes démons pour autant..." poursuivit-il avec cette même neutralité insondable. "La route sera longue."

Il marqua une pause, comme pour choisir soigneusement ses prochains mots. Emily sentit une bouffée d'appréhension monter en elle tandis qu'elle réalisait qu'il s'apprêtait à livrer une part de lui-même, quelque chose d'essentiel.

"Tu dois comprendre pourquoi j'aime autant les chiens..." reprit finalement Alexander. "Ce ne sont pas des êtres faux ou hypocrites. Ils ne prétendent jamais être ce qu'ils ne sont pas. Un chien est un chien, rien de plus, rien de moins."

Son regard métallique se fit soudain lointain, presque mélancolique.

"Les humains en revanche... Vous n'êtes que mensonges et mascarades perpétuelles. Des apparences trompeuses, des vices que vous vous efforcez de camoufler..."

Alexander eut un sourire triste, presque désabusé.

"Mais pas moi Emily. Et surtout pas toi, désormais. Nous avons déchiré les voiles, ne reste plus que nos natures brutes et primales..."

D'un geste vif et étrangement tendre, il saisit le menton d'Emily entre ses doigts puissants, plongeant son regard glacial dans le sien.

"Je vais t'apprendre à embrasser cette nature sans fard ni pudeur, comme mes chiens le font. Je vais faire de toi mon égale, aux confins de ce que l'humanité a de plus sombre et de plus vrai..."

Emily frissonna de tout son être à ces mots. Elle commençait à entrevoir l'étendue du projet d'Alexander, ce cheminement vers une renaissance ardente par-delà les limites de la dignité et des convenances.

Une part d'elle-même, cette parcelle encore vierge sur laquelle ses vices n'avaient pas encore triomphé, se cabra devant une telle perspective. Mais l'autre part, cette blessure à vif qu'Alexander avait attisée et mise à nu, frémissait d'une excitation malsaine à l'idée d'embrasser pleinement sa part d'ombre.

"Je... Je veux être comme toi..." souffla-t-elle dans un râle incontrôlé. "Faire ce qu'il faut pour renaître..."

Alexander l'observa longuement, impassible. Puis, lentement, il s'accroupit près d'elle. D'un geste d'abord ferme mais qui se fit progressivement plus tendre, il saisit le menton d'Emily entre ses doigts puissants. Son pouce vint caresser ses lèvres meurtries avec une douceur insoupçonnée.

La jeune femme frissonna à ce contact, vulnérable et offerte. Un instant, elle crut que son maître allait l'embrasser, scellant cet aveu d'une étreinte passionnée. Mais Alexander eut un infime mouvement de recul, chassant ce qui n'était peut-être qu'une illusion de son esprit épuré.

"Tu n'es pas encore prête..." murmura-t-il avec une froideur retrouvée.

D'un geste ferme, il repris la laisse et l'emmena au chenil où il la libéra.

Mieux vaut les chiens [DARK ROMANCE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant