Chapitre 26 - Ellaëdry [1/2]

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La fête battait son plein. Autrement dit, la majorité des invités était excitée par l'alcool, les cris des "dîners" commençaient à résonner depuis la grande salle de réception alors que l'odeur du sang devenait entêtante.
Comme à chaque fois, c'était une épreuve insupportable pour Sarrion et il profita de l'agitation qui gagnait l'assemblée pour s'esquiver. Se glissant donc discrètement parmi la foule – pour un vampire, il n'était pas particulièrement grand – il s'extirpa du banquet.
D'un pas pressé, crispé par les hurlements gagnant en intensité dans son dos qu'il lui était de plus en plus difficile d'entendre, il gagna l'aile est du palais, opposée à la salle de réception, où il sortit sur un balcon, le grand avec la rambarde en marbre blanc où étaient cultivées de nombreuses fleurs, un endroit bien trop beau et paisible pour les monstres habitant là. D'ailleurs, ces monstres en question n'y venaient jamais. C'était bien pour cela que c'était le lieu de prédilection de Sarrion pour tenter de se couper et de s'éloigner de son quotidien mais il ne pouvait pas réellement s'enfuir.
Tremblant, il s'appuya sur la rambarde au milieu d'un rosiers aux roses jaunes largement ouvertes et très odorantes.
La nuit semblait tellement calme à regarder les formes de la forêt et les quelques lumières de la ville plus loin pourtant, il n'y avait rien de calme ou de paisible dans ce royaume et encore moins à la nuit tombée. Au contraire, dès que le soir arrivait, tous les habitants qui n'étaient pas des vampires connaissaient la plus pure des terreurs.
Une larme de sang coula sous le masque de Sarrion et elle tomba, tachant le marbre de rouge.
Normalement, il n'aurait pas dû porter de masque ce soir. Il s'agissait d'un bal masqué excepté pour les membres de la famille royale, une manière de se démarquer de la masse d'invités. Sarrion avait tout de même choisi d'en porter un pour se différencier de ses parents et de tous ce qu'ils représentaient. Heureusement, son père avait été trop pris par les conversations et, à présent, par le sang coulant à flot, pour y prêter une quelconque attention.
Depuis le départ de Silars, il ne parvenait plus à contenir tout ce qu'il ressentait. Son opposition avait besoin de s'exprimer et elle prenait la voie qu'elle pouvait pour le faire, même si c'était peu et ne servait pas à grand chose mais quelle autre manière avait-il ?
Peut-être, aurait-il tout simplement dû partir, s'enfuir.
Évidemment, si il l'avait fait, son père l'aurait fait rechercher et l'aurait tué si il l'avait retrouvé mais il s'en moquait.
Il ne voulait tout simplement plus subir tout cela mais il ne pouvait pas abandonner tous les habitants du royaume sous cette dictature du sang, sa conscience ne le lui permettrait pas, il ne le pourrait pas. Sa seule alternative était donc de demeurer dans ce palais sanglant à endurer les lois de son père.
Une autre larme goutta de son menton où elle laissa une trace rouge.
Il était totalement prisonnier ici, tout comme un de ces captifs dans les geôles qui attendaient qu'on vienne les vider de leur sang. Il ne pouvait pas partir mais il ne pouvait plus supporter tout cela non plus. Comment faire ?
Les yeux bas, son regard tomba sur le sol que le balcon surplombait de nombreux mètres. Peut-être y avait-il un moyen de fuir toute cette horreur finalement mais pouvait-il s'y résoudre ? Pouvait-il tout abandonner, y compris le royaume pour lequel il n'avait cessé d'espérer mieux que son père sur le trône ?
Il appuya fortement ses paumes sur la balustrade, prêt à s'en servir pour se hisser dessus.
De toute manière, il en faudrait certainement bien plus pour qu'un vampire comme lui ne meurt. Au mieux, il aurait été alité durant plusieurs jours, ce qui lui aurait peut-être permis de se couper de la vie du palais.
Alors qu'il hésitait encore quelque peu, bien que sa prise de décision était proche, un mouchoir en soie, tendu sous son nez, apparut dans son champ de vision.
Surpris – il n'avait entendu personne approcher malgré son audition de vampire – Sarrion releva le regard pour voir qui tenait ce quartier de tissu qu'on lui offrait. Se tenant à sa droite, il découvrit une jeune femme, du moins, à l'apparence d'une jeune femme, l'âge étant une notion relative chez Humcréas.
Plus petite que lui, elle lui arrivait environ à l'épaule et ses longues oreilles effilées ainsi que sa silhouette svelte et élancée indiquaient qu'elle était une elfe.
Certainement une invitée et elle devait bénéficier d'une très haute noblesse pour se trouver ainsi au bal sans pourtant être une vampire ni au menu. Il était vraiment très rare de voir ainsi d'autres espèces que des vampires fréquenter de si près les hautes sphères du royaume.
Poursuivant son observation, Sarrion nota sa peau ambrée, fort inhabituelle pour lui qui ne voyait quotidiennement que des teints pâles, sa robe travaillée toute en superposition de voiles et de tissus fins qui marquait sa taille fine et se terminait en bustier dans un pur style elfique, tout comme la ceinture discrète sur ses hanches, ses boucles d'oreilles et son ras-du-cou, tous en argent et sertis de topazes. Elle avait bien du courage pour afficher ainsi ouvertement ce style qui aurait pu passer pour une provocation.
Ses cheveux, d'un châtain clair se rapprochant vaguement d'un blond cendré – Sarrion en distinguait clairement la teinte malgré l'obscurité grâce à sa vision de vampire – frôlaient le haut de ses omoplates et, si une partie avait été domestiquée dans des tresses sophistiquées où apparaissaient la tête de pinces ouvragées assortis au reste des joyaux qu'elle portait, toujours à la mode elfique, le reste frisait dans son dos, plus naturel.
La couleur de ses yeux faisait également fort elfique : d'un noisette orangé qui réchauffait le cœur de Sarrion.
En revanche, si il pouvait contempler son cou gracile, ses épaules étroites, son menton fin et ses belles lèvres pleines, il ne pouvait pas voir davantage de ses traits comme ils étaient dissimulés sous un masque rehaussé de dorures qui descendait sur son nez et ses joues.
Même si il ne voyait pas l'intégralité de son visage, il la trouva belle et il eut la sensation que le temps se suspendait alors qu'il passait de l'observation à l'admiration mais cela ne dura pas plus de quelques secondes.
Face à lui, l'elfe lui sourit doucement et insista en approchant encore son mouchoir de lui tout indiquant les marques laissées par les larmes de sang, sur la balustrade et la peau blanche du vampire :

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 5 : Sang Divin [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant