Chapitre 11 - Un mariage de moins

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Installé derrière son bureau dans cette pièce où tout éclatait de blancheur, Withèr s'occupait de traiter les différents documents et rapports qui lui parvenaient de toute l'Alliance Blanche. Grâce à eux, il se dressait aisément une idée de la situation de chaque région de l'Enclave, exceptée des Terres de Sang.
L'un des servants employés à la forteresse blanche vint déposer une tasse de thé sur le coin du bureau après avoir cogné quelques coups contre la porte puis il ressortit avec une révérence.
Tout en parcourant la missive qu'il tenait, Withèr porta la boisson à ses lèvres avant de se replonger dans son travail avec un soupir de lassitude.
Pour beaucoup, le poste de dirigeant de la Flamme Blanche était un rêve à atteindre, le but de toute une vie, mais, pour lui, ça se rapprochait plus de devoir arbitrer des querelles qui tenaient davantage d'enfantillages d'écoliers. Plutôt pathétique pour l'homme à la tête de la première puissance du monde.
Son rôle consistait principalement à vérifier que tous faisaient bien ce qu'ils étaient censés faire sans désobéir d'une façon ou d'une autre, à s'assurer que les problèmes qui survenaient soient réglés au mieux sans dégénérer, rien de bien important ni de grandiose.
D'ailleurs, jamais il n'avait souhaité ou cherché à obtenir ce poste. Il s'était hissé dans la hiérarchie en accomplissant sérieusement son travail. Certainement était-ce pour cette rigueur que les autres gradés avaient placé leur confiance en lui et l'avait élu comme dirigeant. Même si il n'avait pas particulièrement désiré ce poste, il ne l'avait pas refusé car il estimait qu'il fallait bien que quelqu'un se charge de cette obligation, de ce qui pouvait être considéré comme une corvée, à son avis.
Il remplissait donc cette tâche qu'on lui avait attribuée avec le même investissement que celui qu'il avait toujours manifesté depuis son entrée à la Flamme Blanche. Ce n'était pas par passion ou fanatisme, comme beaucoup d'Homme Blanc, qu'il s'appliquait à tenir son rôle mais davantage par rigueur et conscience professionnelles.
Ce qui ne l'empêchait pas de juger qu'il s'agissait d'une tâche ingrate, surtout lorsqu'il recevait une plainte du responsable du poste de Plainiore qui protestait contre l'envoie de Blanche dans sa juridiction et dénonçait son comportement inadmissible, même si elle était la supérieure hiérarchique de ce dernier.
Comme Withèr s'y attendait, la jeune femme maltraitait et malmenait les Hommes Blancs locaux, en avait frappé plusieurs, se montrait particulièrement exécrable avec tous et sa seule présence provoquait une forte tension qui paralysait tout le poste. Tous redoutaient de croiser son chemin et encore plus son regard.
Un nouveau soupir gonfla la poitrine de Withèr. Il avait espéré, certes un peu naïvement, que lui donner l'autorisation de mener ses investigations comme elle l'entendait aurait contribué à apaiser quelque peu sa véhémence déchaînée mais il s'était lourdement fourvoyé. Sans compter que, même en l'envoyant à des kilomètres de lui, ce qui était le but principal de cette manœuvre en ce qui le concernait, elle continuait à lui poser problème et à entraver le reste de son travail.
Il ne savait plus que faire d'elle.
Peut-être que donner à une femme psychotique les moyens de poursuivre son obsession en la laissant s'enfoncer toujours plus dans son tourbillon de folie avait été une erreur. Jamais on aurait dû lui permettre d'intégrer les rangs de la Flamme Blanche.
Pour l'instant cependant, Withèr n'avait vraiment pas le courage de se concentrer encore sur le cas de Blanche. Il avait d'autres choses à faire dans son travail que de perpétuellement surveiller la jeune femme. Même si il était navré pour lui et culpabilisait, elle était actuellement le problème du dirigeant du poste de Plainiore, pas le sien.
Ne s'attardant donc pas davantage sur le sujet, Withèr déposa la lettre sur la pile des documents déjà traités et en prit une autre parmi les missives lui étant adressées qu'il devait encore étudier.
Ses sourcils se froncèrent lorsqu'il avisa le sceau royal des Terres d'Eaux fermant la lettre.
Que lui voulait la famille Ennabraüs ? Était-ce pour le presser de fournir une réponse à sa proposition de mariage ?
Depuis des mois, Withèr faisait traîner les choses en longueur car il ne souhaitait pas s'enchaîner à un mariage mais refuser aurait pu provoquer quelques complications dans l'alliance avec les Terres d'Eaux. Sans compter que la princesse Ténériss, sa promise en un sens, semblait avoir encore moins envie que lui de cette union. Il ne souhaitait pas lui infliger le tourment de l'obligation de passer ses jours aux côtés d'un homme qu'elle n'aimait pas.
Fuir éternellement était cependant impossible.
Tout en se demandant comment s'extirper de cette situation, Withèr brisa la cire du sceau et ouvrit la missive.
La surprise lui fit écarquiller les yeux à les faire éclater. Il était rare qu'une émotion ait autant de prise sur lui mais jamais il ne se serait attendu à lire ce qu'il découvrait dans ces quelques lignes, qui paraissaient avoir été rédigées de la main du souverain des Terres d'Eaux.
A travers ce courrier, Léys Ennabraüs l'informait qu'il renonçait à son offre de mariage. La possibilité pour lui d'épouser Ténériss Ennabraüs n'était plus d'actualité.
La surprise passée, Withèr s'interrogea sur ce qui motivait cet abandon définitif de la sorte, surtout après tant d'insistance.
Les Terres d'Eaux avaient-elles une alternative à cette union pour améliorer leur situation ? Que s'était-il passé ? Tout cela ne cachait-il pas quelque chose d'étrange ?
Pour Withèr, il semblait évident qu'il y avait quelque chose d'anormal dans toute cette affaire pourtant, la lettre paraissait authentique. Les armoiries de la famille Ennabraüs trônaient en haut de la missive, l'écriture ressemblait parfaitement à celle du souverain et même la cire qui scellait la missive semblait identique à celle qui s'était trouvé sur les précédents courriers émis par Léys Ennabraüs. Aucun faux n'aurait été aussi détaillé, aussi parfait. Il fallait donc croire qu'il s'agissait bien d'un vrai.
De toute manière, qui aurait véritablement trouvé un intérêt suffisant à empêcher cette union de se concrétiser pour prendre le risque de tromper un souverain et le dirigeant de la Flamme Blanche ?
Sa méfiance apaisée par ces quelques réflexions, ce fut un fort soulagement qu'éprouva Withèr à cette lecture.
Il n'aurait pas eu à trancher dans ce dilemme en prenant une décision qui aurait forcément été insatisfaisante. La solution à ce problème s'était présenté d'elle-même.
Sans perdre de temps, comme si il craignait que Léys Ennabraüs ne change d'avis si il tardait à lui répondre, Withèr sortit une feuille de son papier à lettre personnel, sa plume teintée de blanc et son encrier. Le noir de l'encre qu'il contenait tranchait violemment avec toute la blancheur du lieu.
En quelques lignes, Withèr informa son interlocuteur indirect qu'il acceptait sans problème cette décision, que cette annulation de proposition de mariage ne causerait aucune dégradation des relations entre la Flamme Blanche et les Terres d'Eaux.
Pour s'assurer que cette histoire était parfaitement terminée, que Léys Ennabraüs ne reviendrait pas à nouveau sur sa parole, Withèr précisa que, pour lui, cette annulation était définitive, que la possibilité d'une union ne se représenterait jamais.
Concluant cette courte missive de sa signature, il la referma d'un sceau de cire blanche représentant une haute flamme puis il la confia à un domestique pour qu'elle soit amenée à Eaufline dans les plus brefs délais.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 5 : Sang Divin [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant