1 - Seule

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              Sur les terres refroidies du Nord, l'obscurité pénétrante mourait dans les premières lueurs de l'aube. Elle reculait à tâtons dans les parcelles naissantes de lumière, se dérobant au jour, elle qui s'imposait comme étendard de la nuit ; et à mesure que l'étoile de feu embrasait le ciel, l'ombre se dissolvait en dessins difformes, déchiquetés, et elle dansait sur le sol la valse de sa dernière heure.

Un jour nouveau se levait.

Lentement, je me dégageai de mon coin de terre et de roche et me déplaçai sous une trouée de feuillages. Les rayons diurnes paraissaient d'une lumière sans chaleur. Que pouvaient-ils soulager quand la morsure du froid allait jusqu'à glacer le cœur ? Pourtant, les températures étaient un moindre mal en comparaison au silence, à ce silence persistant. Oh, il y avait du mouvement dans le sous-bois, signature des êtres qui le peuplaient, et l'on entendait bruire la canopée au contact du vent ! Mais c'était le silence morne de la solitude.

Car il n'y avait personne.

Deux jours que j'errais seule au milieu des Bois-Vermeils. Personne ne s'était lancé à ma recherche ; je supposais que – peut-être – l'escouade m'affectionnait assez pour au moins ne pas réclamer mon exécution immédiate.

Deux jours d'isolement et de désespoir. Seth avait disparu. Son anima avait disparu.

Mon âme était vide.

J'allais devenir folle.

Mes lèvres laissèrent échapper un son plaintif et je tirai sur mes cheveux en poussant un hurlement qui se fit avaler par les bois. Puis je me mis en marche sans destination précise dans cette forêt au crépuscule éternel. Comme la veille et l'avant-veille. Mes yeux avaient cessé de distinguer les couleurs de l'immense tache vermillon. À chaque pas, l'énergie de la terre se rappelait à moi pour me bercer de son chant, mais elle me passait au travers comme une lame déchire un fantôme.

Personne. Toujours personne.

Des mois durant, les Faucons Obscurs avaient œuvré dans le but de me détourner de l'Ordre. Mais à présent, ils s'étaient évaporés. J'avais ordonné à Azelor de partir, lui qui m'avait offert une échappatoire que j'avais refusé de saisir. Alors, il était parti. Comme Seth, Hildegarde, Reska et les autres étaient partis à leur tour.

Qu'avais-je fait... ?

Des larmes dévalèrent silencieusement mes joues. Je croyais pourtant que mes réserves s'étaient taries à mesure des pleurs ; je voulais tant qu'elles le soient, que mon corps blessé sache surmonter la douleur et la rejeter ! Car mon cœur souffrait tellement ! Et j'étais fatiguée de cette lutte, si fatiguée...

— Pauvre petite colombe égarée, comme tu as l'air malheureuse...

Je relevai mes cils humides. Derrière les branchages d'un arbre couché, les troncs noirâtres s'écartaient autour d'une étendue d'eau pas plus grande qu'une mare. Sa surface avait la couleur des cieux à l'heure où la rosée s'élève, avant que l'aurore ne s'enflamme et que le jour ne vienne blanchir le monde. Une brume nacrée fumait au-dessus de l'onde dormante.

Merveilleux était le Sidh quand il ne faisait pas étalage de sa cruauté...

La voix provenait de là, ou plus exactement, elle émanait d'une loutre qui se tenait debout sur la berge.

— Qui êtes-vous ?

Ma propre voix sonnait rauque, brisée. Aussi brisée que devait l'être mon âme.

La Désillusion | Tome 2  -  Des racines et des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant