9 - Ils vont et ils viennent

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            C'est ainsi que Hip entra dans ma vie.

Reconnaissons que le prénom manquait d'originalité ; toutefois il était le seul qu'elle semblait tolérer si l'on se fiait aux drôles d'exclamations qu'elle poussait à tout va.

Mon amour pour elle grandit très vite, me prenant presque par surprise. Le premier soir, elle était venue dormir dans mon lit et, plutôt que la repousser, je lui avais ouvert les bras. Alors qu'elle s'était lovée contre ma poitrine, j'avais écouté son petit cœur agité battre jusqu'à ce qu'elle eût trouvé le sommeil.

Quel drame avait-elle vécu avant de me rencontrer... ? Tout ce que je savais, c'était que nous avions besoin l'une de l'autre.

Il me fallut un peu de temps pour comprendre son fonctionnement.

Hip survenait seule à ses besoins. Son régime alimentaire ne suivait aucune logique. Elle mangeait ce qu'elle trouvait dans les bois et dénichait des vers ; parfois même je la surprenais à consommer de la terre pour ensuite ne plus rien toucher pendant des jours. Si j'en étais inquiète au départ, je finis par ne plus y prêter attention.

Il y avait un autre fait curieux la concernant : Hip était très sociable – bien plus que je l'étais ! Elle recherchait sans cesse la compagnie, saluant tout le monde, observant avec une vive curiosité le travail des uns et des autres, et touchant de ses petites mains ce qui attirait son attention. Parfois avec beaucoup d'insistance...

— Mais lâche-moi la grappe, pour l'amour du ciel !

Dans la lumière rougie des bois, Azelor souffla bruyamment et se laissa tomber accroupi devant le pandora. Il tira de sa sacoche une poignée de glands.

— Tu en veux ? Fort bien, prends-les. Mais après, tu me fiches la paix, c'est compris ? Je sais très bien que tu es capable de grimper aux arbres.

— Hip !

Hip s'empara des glands qu'elle goba tout ronds, gonflant ses joues comme un hamster fier de son butin. Je laissai échapper un sourire que je fis rapidement disparaître lorsque je surpris le regard d'Azelor sur moi.

La journée s'annonçait grise et humide. Il avait plu la veille et des nuages plombés ombraient le soleil. Le sol, creusé de bourbiers, était glissant. Une odeur de terre mouillée se mêlait aux parfums vivifiants des fleurs sauvages. La forêt avait bu à sa soif et les troncs pâles des bouleaux se veinaient d'un rouge grenat qui parait la lumière d'une teinte sanguinolente.

Je revins à mon objectif du jour puisé dans le grimoire ancestral, à savoir la création et l'animation d'un golem. La créature qui se tenait devant moi avait ma taille et une apparence pour ainsi dire... hideuse : un torse énorme, des jambes grêles, un bras plus court que l'autre et une figure effrayante qui dégoulinait comme de la cire le long d'une bougie.

Ma première tentative avait donné lieu à une monstruosité sans nom. J'avais dû travailler les mains dans la boue pour redonner au golem un semblant d'apparence, mais il faisait tellement peur à voir qu'Azelor lui-même m'avait demandé de le détruire, mal à l'aise. Celui-ci était mon quatrième essai.

— Bien, approuva Azelor avec un hochement de tête. Maintenant que nous avons une structure, tu vas lui insuffler une intention.

— À t'entendre, on croirait que c'est un jeu d'enfant, protestai-je en posant un regard excédé sur lui. Tu n'imagines pas l'effort que me demande le seul fait de maintenir la terre sous cette forme.

La Désillusion | Tome 2  -  Des racines et des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant