8 - La créature des bois

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            Deux matins plus tard, lorsque je parvins de bonne heure aux cuisines, une atmosphère inhabituelle planait au-dessus des quelques tables occupées. Elle enveloppait les voix pour les calfeutrer en murmures et elle laissait dans son sillage un parfum d'inquiétude. Certains Faucons se retournèrent à mon arrivée. Je feignis de ne pas les avoir remarqués et poursuivis mon chemin sans parvenir à me défaire d'un mauvais pressentiment.

— Que se passe-t-il ? questionnai-je sur un ton discret, en posant mon plateau sur la table où Phiale et Azelor étaient déjà installés.

L'attention du mage était fixée sur un groupe de Faucons assis à sa droite. Ce fut Phiale qui répondit à ma question, d'une voix tout aussi basse :

— Un raid est revenu. Ils racontent que l'escouade de Cérule traîne toujours dans la région.

Mes mains se crispèrent sur les anses de mon plateau. Si cette nouvelle manqua de faire jaillir mon cœur hors de ma poitrine, je dus fournir un grand effort pour ne rien en laisser paraître.

— Ils doivent continuer à chercher des cristaux, oui..., répondis-je vaguement.

Pensive, je me mis à émietter les croûtes de ma tartine sans penser au gâchis que j'en faisais. Ainsi, l'escouade, mon escouade se trouvait toujours dans le Nord. J'aurais voulu savoir où et quand on les avait aperçus, de quoi mes compagnons avaient l'air, s'ils avaient changé d'avis, s'ils étaient à ma recherche ! Et Seth... Seth allait-il revenir ? J'avais beau m'habituer à la vie ici-bas, sans eux, une vingtaine de jours s'étaient écoulés comme une éternité...

J'aperçus du coin de l'œil Azelor étudier mes expressions. De toute évidence, il n'était pas dupe.

— Mais ce n'est pas tout, ajouta Phiale, un pli logé entre les sourcils, semblant hésiter à poursuivre. Une nouvelle rumeur est en train de se répandre, une rumeur... selon laquelle nous aurions enlevé la Sang-Premier.

— Quoi ? m'étranglai-je. Non, c'est impossible ! Ils m'ont... Ils m'ont vue partir.

Ce sont eux qui m'ont dit de partir.

— Je le sais, Kaly, comme je sais que vous êtes ici de votre plein gré. Toujours est-il, expliqua la harpie avec un sourire compassé, que toutes nos sources indiquent que vos anciens compagnons ont été les premiers à faire courir ces bruits.

Je sentis mon front se creuser. J'ouvris la bouche, prête à contester ces accusations, quand je me rendis compte que j'étais incapable d'attester leur innocence. Mon regard déboussolé chercha celui d'Azelor et son visage ferme m'intima de terminer mon plateau pour que nous puissions prendre congé.

Aucun de nous ne fit la conversation durant la traversée des tunnels. Mon esprit était en proie à la confusion. J'éprouvais certes du soulagement à l'idée que le groupe ne soit pas rentré à Cérule, où la Bansidhe aurait pu exercer une quelconque forme d'emprise sur eux, mais pourquoi prendre la peine de faire courir ces bruits ? Pourquoi ne m'avaient-ils pas encore dénoncée ?

— Je ne comprends pas, lâchai-je dans un murmure.

— C'est pourtant clair, lança sèchement Azelor. L'Ordre veut sauvegarder les apparences. Raconter que la Sang-Premier a été victime d'un enlèvement les arrange plus que d'admettre que tu t'es écartée de son droit chemin. Bon sang ! J'aurais dû m'y attendre.

Le drapé de sa cape le fondait dans la pénombre mais je discernais la tension coléreuse qui crispait ses muscles. Mes épaules s'affaissèrent tandis qu'il continuait d'avancer sans ralentir. Il avait probablement raison. Quelles qu'eussent été mes relations avec l'escouade, elles passaient après un dessein politique...

La Désillusion | Tome 2  -  Des racines et des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant