3 - Rehad

119 14 67
                                    


              Rehad était mon père. Mon vrai père. Ici, maintenant, devant moi. La gorge nouée, je recouvrai assez d'esprit pour hocher la tête.

— Allons dans mes quartiers, dit-il, nous y serons au calme.

Il effleura mon épaule et tendit le bras pour me montrer le chemin.

Nous nous éloignâmes de l'assemblée d'inconnus, talonnés par Azelor ainsi que par un homme armé d'une épée au flanc et que je devinais être un garde.

Une arche de douze pieds de haut ouvrait sur un tunnel à l'opposé de celui par lequel nous étions arrivés. Dans le nouveau boyau qui se prolongeait en droite ligne, les plafonniers de verre suspendus produisaient sur le sol terreux des alternances d'ombres et de lumière. Chose étonnante, on avait tendu le long des murs quelques draperies simples, quoiqu'aux couleurs vives. Il y avait une certaine recherche de faste dans cette simplicité de moyens.

Il nous fallut dépasser trois carrefours, où nous rencontrâmes encore quelques habitants qui se reculèrent en étouffant des hoquets de stupeur à ma vue, longer une série de portes fermées par des rideaux rapiécés et monter un escalier de cinq marches taillées dans la pierre avant d'arriver au seuil de l'appartement de Rehad, une porte voûtée, creusée dans une niche plus imposante que les autres.

Arrivés là, il s'écarta pour me céder le passage et signala à notre escorte de patienter à l'extérieur. La pièce, pourtant vaste, m'étonna par la modestie de ses biens : deux fauteuils rembourrés à revêtement taupe étaient disposés face à face autour d'une table aux pieds bas ; sur un buffet de bois vieilli s'alignait une collection disparate de bibelots en argile.

Un pan de mur me cachait le coin d'un secrétaire et le reste de son intimité était invisible aux yeux de visiteurs. Il n'y avait ni tapis, ni rideau ; les murs étaient nus, sans ostentation.

J'effectuai quelques pas pendant que Rehad rangeait des parchemins éparpillés sur la table basse. Une grande ouverture sans vitrage courait sur la largeur d'une loggia et donnait vue sur un champ lumineux où, à ma grande surprise, se cultivaient des graminées.

Maintenant seuls lui et moi, il se racla la gorge. Nous avions l'air aussi mal à l'aise l'un que l'autre.

— Je t'en prie, installe-toi, me proposa-t-il en désignant d'un geste ample le petit salon. Ton voyage jusqu'à nous a été long.

— C'est vrai, acquiesçai-je en prenant place sur un des fauteuils, bien consciente du double-sens de ses paroles. Mais... les Faucons n'ont jamais été bien loin, n'est-ce pas ?

— Certes.

Je baissai les yeux sur mes mains ; devant moi, Rehad tirait nerveusement sur ses manches. La pièce s'enveloppa alors dans un nouveau silence.

Lorsqu'un courant d'air me fit frissonner, le Premier Faucon disparut derrière un pan de mur et revint avec une couverture qu'il posa sur mes épaules. À peine ouvris-je la bouche pour murmurer des remerciements que quelqu'un gratta à la porte, et une femme rondelette apparut en portant un plateau chargé de tranches de brioches et d'un broc de thé. Vêtue d'un corselet de laine et de jupes, elle était coiffée d'un chignon blond bien serré qui dégageait un visage avenant, au nez court et aux joues rosies par l'effort.

Elle me gratifia d'un affable sourire en se penchant pour poser le plateau.

— Merci, Any, lui signifia Rehad.

La Désillusion | Tome 2  -  Des racines et des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant