11 - L'évanescence des souvenirs

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            Azelor s'absenta dès le lendemain et je me tins donc à distance de l'extérieur, ainsi qu'il me l'avait recommandé, participant aux tâches domestiques et aux continuels travaux que requérait la vie souterraine ; ce que les Faucons ne manquaient jamais d'exécuter avec une rigueur qui faisait la prospérité de Grand-Fissure.

Le quatrième jour, Hip dormait d'un profond sommeil, étendue de travers sur mon lit. Pour cette raison, j'en étais réduite à étudier le grimoire, installée en tailleur sur des fourrures à même le sol. J'adorais m'instruire sur les pouvoirs de mes semblables, et par-dessus tout, les imaginer. On disait que les sorciers de feu pouvaient créer des épées embrasées, lancer des serpents de flammes ou des nuages incendiaires ; que les sorciers des vents, comme Tartoth, avaient la capacité d'invoquer des tempêtes, d'asphyxier leurs ennemis, de générer des ondes de choc ou de modifier la gravité à leur guise...

Mais toutes ces belles images étaient parasitées par une idée qui germait lentement dans mon esprit.

Une lanterne dispensait une lumière chaude sur les parois de ma chambre. Je poussai un soupir et appuyai mon dos contre le lit en observant les ombres qui bougeaient sur le plafond. Vixe avait souligné un point important au sujet de la memoër : j'avais accès à des événements, des conversations, auxquels je n'avais pas assisté.

Alors, évidemment, mes pensées se tournaient vers l'escouade.

J'avais cherché à refouler cette obsession. Je m'étais levée, couchée, levée encore ; j'avais rôdé dans la pièce comme un lion en cage. Je ne pouvais pas sortir ; j'avais promis de ne pas le faire seule. Or, justement Azelor n'était pas là.

Il restait encore quelques heures avant la tombée de la nuit. Je me mis à mordiller nerveusement mes ongles, en proie à un dilemme moral. L'appel de l'extérieur ne cessait de me titiller comme une démangeaison. Je savais pourtant qu'il était idiot de se raccrocher au passé. Mais peut-être que cette étape serait la dernière de mon deuil. Et puis... j'avais besoin de savoir comment tout cela s'était fini.

Ma conviction ne tarda pas à se raffermir et je m'emparai d'une craie pour tracer les éléments d'un cercle de traversée. Lorsque les oreilles de Hip frémirent, je me hâtai de conclure le rituel. Il n'était pas question d'impliquer qui que ce soit dans mon incartade. Une seconde plus tard, une mosaïque de fleurs rouges avait remplacé les murs uniformes de ma chambre, et les senteurs familières de humus et de pollens, éclipsé l'air tiède des grottes.

Je sentis la magie vibrer dans mes mains ; impérieuse, puissante. Azelor m'avait entraînée à la traversée à plus d'une reprise, et l'effort que demandait ce rituel était nettement moins conséquent aujourd'hui, sans compter qu'aucun passager ne m'avait alourdie cette...

— Hip !

Je manquai de sursauter en sentant un brusque tiraillement sur ma jambe. Un petit pandora à l'expression boudeuse se tenait accroché à mon pantalon.

— Toi, soufflai-je à voix basse en me penchant sur elle, plus amusée qu'en colère, tu es... Bon sang, Hip, tu n'es pas croyable !

Si mon familier s'abstint de me répondre par son exclamation coutumière, ses yeux de grenat me transmirent mille reproches et elle détourna la figure avec une attitude de dédain très humaine.

Mais mon sourire diminua quand je me tournai face à la clairière silencieuse. Mon regard brossa les lieux et j'avançai jusqu'au tertre qui cachait la tanière du leprechaun, sentant les souvenirs refaire surface. C'était ici que nous nous étions quittés, ici que j'avais mis fin à ma vie à l'Ordre, ici que j'avais renoncé à mon amour pour chacun d'eux. Les regrets avaient cessé de m'assaillir depuis. J'étais fière d'être entrée chez les Faucons ; tôt ou tard, l'inévitable se serait produit. Cela n'avait toujours été qu'une question de temps.

La Désillusion | Tome 2  -  Des racines et des ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant