L'ultime secousse projeta le visage de la Marcheuse contre le sol. Vive et alerte, elle se redressa.
L'oppressante forêt et le lugubre manoir avaient cédé leur place à des ténèbres que la petite boule de lumière n'arrivait pas à percer. Un reflet pourpre, à quelques pas d'elle, attira son attention. Elle s'en approcha avec prudence.
Il s'agissait d'un lourd rideau de velours écarlate comme l'on trouvait dans les théâtres. Le doigt sur la gâchette, la jeune fille le leva et se glissa de l'autre côté. Un grand mur dont elle ne pouvait voir les limites se tenait face à elle. En comparaison, la table sur laquelle s'empilait du maquillage paraissait minuscule. Un miroir entouré d'ampoules chaleureuses complétait ce décor.
La main posée contre cette glace, Lys contemplait son reflet. Avec horreur, Lauren se rendit compte que la psyché déformait le visage de l'Achron jusqu'à la transformer en monstre.
— Lys ? demanda-t-elle.
La marcheuse en était sûre, c'était bien la véritable jeune fille. Elle le sentait. Son instinct le lui hurlait.
À l'entente de son nom, l'Achron se retourna.
— Lauren ?... articula-t-elle avant qu'une voix ne l'interrompe.
— Tu ne dois pas leur parler, susurra-t-elle.
Avec un hoquet d'horreur, Lauren regarda la bouche de Lys être cousue par un être invisible jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un tas de chair boursouflée.
— Tu ne dois pas les regarder, souffla à nouveau la voix glaçante.
Les yeux de l'Achron disparurent de ses orbites, coupant le contact visuel avec la Marcheuse.
— Tu ne dois pas les écouter, siffla-t-elle une troisième fois.
Les oreilles de Lys furent déchiquetées par des griffes imperceptibles.
— Tu es ma fille, conclut-elle. Tu es ma marionnette rien qu'à moi.
Comme pour clore ce macabre spectacle, des cordes enserrèrent les poignets et chevilles de la malchanceuse, leurs extrémités s'élevant haut dans les ténèbres. Un dernier lien vint s'ajouter autour de son cou. Un nœud coulant.
D'un pas vif, Lauren se précipita vers l'autre fille. Elle devait l'obliger à se réveiller pour quitter le cauchemar. Sa main heurta la joue tendre de l'Achron. Une fois. Deux fois. Trois fois. De plus en plus vite, de plus en plus fort.
Une dernière gifle fit voler en éclat l'horrifique monde onirique.
Pantelante, la Marcheuse se leva brusquement du lit qu'elle occupait. Elle était de retour dans la réalité. D'un regard, elle constata que Lys était dans le même état qu'elle.
Elle lui devait des réponses. Pourquoi s'était-elle portée volontaire alors qu'elle faisait ce genre de rêves ?
Rapidement, Lys se précipita vers Lauren et saisit ses mains.
— S'il te plaît, ne parle à personne de ce que tu as vu. Je t'expliquerai tout, mais... s'il te plaît, pas un mot, supplia-t-elle à voix basse pour ne pas réveiller leurs condisciples.
Méfiante, la Marcheuse accepta d'un signe de tête. Elle n'avait aucune raison de croire qu'elle allait lui fournir de légitimes explications, mais elle pouvait l'y obliger en menaçant de dévoiler ce qu'il se déroulait dans sa tête. Elle n'aimait pas l'idée, mais à Cigam, c'était la loi de la jungle. Seuls les plus forts survivaient, et Lys venait de dévoiler son talon d'Achille.
La sonnerie retentit, et l'Achron se dépêcha de partir avant que la jeune fille ne lui pose de questions. Lauren prit quelques minutes pour se calmer et assimiler tout ce qu'il s'était passé. Sa pseudo-noyade, les cadavres au fond de l'eau, la fausse Lys sanglotant, le tir et le sang qui giclait – faux, bien sûr, aussi faux que tout le cauchemar, cependant tellement réaliste qu'elle se sentait mal –, le tremblement, le théâtre macabre et Lys transformée en poupée malléable.
C'était trop. La jeune fille avait l'impression que son cerveau allait exploser.
Légèrement chancelante, elle se dirigea vers la sortie de la salle. C'était son dernier cours de la journée, elle allait en profiter pour se changer les idées : lire, jouer aux jeux vidéos, dessiner, faire du sport, tout pour vider son esprit et oublier.
Alors qu'elle franchissait la porte, elle aperçut Alexandre, adossé au mur face à sa salle de classe. Peut-être que passer du temps avec lui la détendrait ?
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Jusqu'à ce que le Soleil meure
FantasyTous les dix ans, l'académie Cigam ouvre ses portes. Pendant les trois années de leur cursus, les étudiants doivent prouver qu'ils sont dignes d'être à la tête de leur famille. Mais cette fois, les tensions sont plus fortes que jamais. Les Lympyres...