J'ai appuyé un peu plus sur l'accélérateur, en direction d'un nuage qui cette fois-ci, ne fera pas tomber de pluie.
Je me suis garé au plus près possible des lieux. La route était barricadée bien en amont de l'entrepôt de mon père, mais on pouvait deviner un peu sa silhouette dans les flammes. En regardant la fumée noire s'élever dans le ciel, mon esprit arrivait à me dessiner la forme du visage espiègle de mon défunt paternel, à deux doigts de pouvoir y lire à travers "et hop, ce n'est que le début."
J'ai rejoint mon frère qui discutait déjà avec le Lieutenant Stuart.
- Qu'est ce qu'il s'est passé ? Je lance pour les interrompre.
- C'est encore trop tôt pour le dire Koss. Les pompiers sont sur place depuis plus de 30 minutes, ils ne devraient pas tarder à neutraliser l'incendie, me réponds d'un ton calme Stuart.
- Et tonton, il était à l'intérieur ? Et les employés ?! Je surenchéris, histoire d'avoir l'air inquiet.
- Dès que le chef des pompiers me fait un rapport de la situation sur place je vous appelle les gars, OK ? Conclut le Lieutenant.
On s'est éloigné de Stuart, Soly lui faisant une petite tape sur l'épaule et une sorte de hochement de tête, l'air de dire "ça roule cowboy". Il savait brosser les autres dans le sens du poil.
C'est certainement pour ça que mon frère était globalement plus apprécié. On a toujours été les mêmes, mais en vieillissant ma part d'ombre a pris le dessus, tandis que son sourire a su prendre l'ascendant sur ses maux. En tant qu'adulte, on est un peu le jour et la nuit, l'ombre et la lumière, Azur et Asmar, le légume et la pizza.
C'est d'ailleurs une des choses qui m'a toujours fasciné. Me rendre compte à quel point, deux être humains, à première vue totalement identiques, avec les mêmes codes de vie, peuvent affronter les mêmes drames, les mêmes joies, avoir les mêmes amis, les mêmes ennemis, et pourtant, gérer toutes ces choses de manière diamétralement opposée. Comme si, en grandissant, tous ces voiles que l'on se met devant les yeux à travers l'apprentissage, l'expérience de l'enfance, on les triait, chacun de notre côté, et qu'on ne gardait que ceux qui s'opposent, sans le savoir.
Malgré tout, une attache, sûrement indestructible, bien que comme toute autre, éphémère, existe entre Soly et moi. C'est pourquoi j'ai tout de même senti un peu d'inquiétude dans son regard.
- Tu t'inquiètes plutôt pour tonton ou c'est pour le whisky ? Je lui lance, pour détendre un peu l'atmosphère.
- Les deux. Je sais que tonton ne vaut pas mieux que papa, mais bon, cousin Brondy n'est déjà plus là, c'est déjà beaucoup à porter, puis tous les autres la bas ? Ne pas savoir ça m'énerve, me répond-il un peu à cran.
- Je vois ce que tu veux dire. Puis ces flammes c'est quand même impressionnant. On dirait presque que c'est un message, comme si toute notre enfance devait brûler dans les flammes de l'Enfer.
- Tu peux pas t'empêcher d'être poète..! Me lance t-il, mesquin.
- Ahah. T'as prévenu maman, ou Jess ? Je lui demande, un peu plus sérieux.
- Non je t'ai appelé en premier, et je savais que tu serais dans le coin. Jess ne venait plus là depuis longtemps alors bon... Et tout comme toi, maman ne s'entend pas avec tonton, alors à quoi bon, puis elle a besoin de se reposer...
On a soupiré tous les deux en même temps, au milieu du brouhaha des sirènes.
- Koss ! Soly !
Le Lieutenant Stuart nous faisait signe avec son chapeau depuis sa voiture, comme si on ne le voyait pas assez tiens. On l'a rejoint au plus vite, intrigués d'en savoir plus.
- J'ai eu un retour du commandant des pompiers. À l'heure actuelle, deux personnes sont décédées, impossible encore de déterminer leur identité. Votre oncle était inconscient mais encore en vie, il va être transporté à l'hôpital, avec deux autres personnes. Pour ce qui est du feu, il a été neutralisé, et sera bientôt complètement éteint. Mais j'ai une nouvelle un peu étrange...
- Étrange ? Comment ça ? Je l'interroge, levant les sourcils.
- Il semblerait que l'on ait retrouvé des cadavres de bidons d'essences à l'intérieur du bâtiment. Le feu ne semble pas avoir été accidentel, poursuit-il d'un ton grave.
On s'est tous les deux regardés avec mon frère. Quel merdier était en train de s'épanouir paisiblement devant nos yeux ? Comment ça pas accidentel ? Qui peut bien vouloir brûler toute une tonne de whisky local ?
Tant de questions dont on n'avait pas la réponse de suite. On a remercié Stuart, et on a décidé d'appeler Jess, pour qu'elle puisse nous rejoindre au "Glemington", près du cimetière Nord.
Sur la route vers le pub, mes pensées cavalaient plus vites que la musique que j'écoutais. J'étais un peu fatigué, comme si mon corps fonctionnait à peu près normalement, mais que mon esprit prenait des pauses.
Je suis arrivé le dernier au "Glemington". Soly buvait son demi-pêche habituel, et Jess son verre d'eau. J'ai commandé un whisky, et je les ai rejoins à notre table habituelle, proche de la grande vitre qui donne sur l'église et le cimetière.
- Je ne comprends pas, qui aurait-pu faire une chose pareille ? Et pourquoi ici ? S'interroge ma soeur, un peu l'air affolé.
- Aucune idée. J'essaierai de retourner voir Stuart demain, c'est pas loin du boulot, donc je suis à côté. Je lui réponds, pour la rassurer au possible.
- Cousin Brondy, papa, et maintenant presque tonton et tout l'entrepôt ? La coïncidence est énorme. Et si notre père...?
- ... Ne dis pas de conneries, j'interrompts mon frère, maman était là quand c'est arrivé rappelle toi.. évitons les scénarios foireux pour l'instant, laissons ça à la vieille Suzanne..
- Qu'est ce que la vieille Suzanne vient foutre dans l'histoire ? Me réponds mon frère interloqué.
- Oh, euh, je vous expliquerai.. Dis-je en terminant mon whisky.
Je posais à peine mon verre, que soudain, le temps s'est figé sous mes yeux. Le bruit assourdissant d'une vitre qui explose, sous l'impact de balles tirées depuis l'extérieur. Trois précisément, comme si chacune pouvait suivre son propre chemin.
Des cris provenant de la rue, de l'intérieur du pub. Du mouvement, partout et pourtant je restais immobile, assis sur ma chaise.Puis soudain, le silence. Un silence macabre, proche d'une nuit éternelle sur une plage déserte. Un silence dont on se souvient toute sa vie, plus que n'importe quel cri.
En une fraction de seconde, ma vie a pris un tout autre sens.
À suivre...
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Sombre exutoire
General FictionChapitre par chapitre, suivez le quotidien mouvementé de "Koss", sa famille, ses amis et le reste, dans une petite ville divisée par les déboires relationnelles des êtres humains.