En une fraction de seconde, ma vie a pris un tout autre sens.
Les sirènes de police, les sirènes de pompiers, le brouhaha d'un attroupement oppressent les lieux. Je suis assis à l'arrière d'une ambulance, pour des tests de contrôle avec l'infirmier. Le Lieutenant Stuart en profite pour m'accabler de questions.
- Est ce que tu te rappelles avoir vu une moto dehors en arrivant ? Il n'y avait que vous trois sur cette table ? Comment te sens-tu ? À quelle heure exactement as tu entendu les coups de feu ?
C'est le cadet de mes soucis. J'ai un peu mal au crâne, sûrement à cause de tout ça, ou peut être parce que mon esprit veut me faire comprendre que c'est un moment propice au calme et au silence.
Je me suis levé, sans dire un mot, et j'ai décidé de rentrer à pied, laissant le Lieutenant dans son interrogation.
Sur le chemin, mes pensées n'arrêtent pas de virevolter. Je vois le corps de ma sœur, tenu par les bras en sang de mon frère. Est-ce qu'elle va s'en sortir ? Pourquoi elle, pourquoi nous ? Qu'est ce qui est en train de se passer ici ?
D'après les premiers retours ambulanciers, ma sœur a été touchée à l'épaule, mon frère lui a peut être évité le pire en se ruant sur elle pour se jeter au sol. Les médecins ont tout de même voulu le garder aussi, pour une petite ouverture à la tête, due au choc avec le sol, mais ça devrait être bénin. Enfin, j'en sais rien. Ma mère ne tardera sûrement pas à m'appeler, quand elle l'apprendra, d'une bouche ou d'une autre. Mais je préfère ne pas la déranger maintenant au boulot, elle est déjà assez inquiète comme ça, et je ne saurais quoi lui dire.
J'essaye tant bien que mal, tout en inspirant le plus d'air frais possible, de me remémorer la scène, l'avant scène surtout. Comment je n'ai rien pu voir ? On était tellement concentrés sur cette histoire d'incendie, je n'ai même pas entendu la moto arriver. Évidemment que l'on était visés. Trois balles. Dans un bar vide, que l'on fréquente souvent, et en plein après midi, juste après un incendie criminel. Je ne suis pas fou quand même.
Je pense à mes deux neveux, à ma mère, à mon frère. Mon cerveau m'a toujours fait ressasser les pires possibilités inimaginables. C'est ce qu'on appelle être pessimiste d'après ce qu'on en dit. Je ne peux m'empêcher d'imaginer le pire. Et si c'était fini ? Comme ça ? Vous la connaissez cette sensation d'inachèvement, toutes ces choses, ces personnes, auxquelles on a pas le temps de dire au revoir ? J'avais les tripes nouées de remots. C'est comme des remords, mais avec tous les mots qu'on a pas eu le temps de dire.
Une sœur, c'est pas simplement une personne qu'on nous force à côtoyer parce qu'on a grandi avec, non. C'est un peu un modèle qui nous évite de faire parfois des choses affolantes. Les erreurs de mauvais goûts, les premiers affronts familiaux, les épreuves de l'adolescence, tout ça notre grande sœur elle les essaye pour nous, et comme ça, on a plus qu'à éviter les choses un peu désagréables à faire. C'est souvent un avis que l'on n'écoute pas, malgré la véracité de ses conseils, c'est le petit trou de lumière dans notre boîte noire. Quand tout s'accumule sur vos épaules, une grande sœur c'est un peu un troisième bras, sur lequel on peut venir se reposer, sans besoin de dire quoi que ce soit.
Enfin si, il faudrait dire des choses. On passe notre temps dans le silence, pourtant, on est les premiers à l'ouvrir pour sortir des conneries.
Qu'est ce qui peut nous freiner comme ça ? Avec les proches ? C'est pourtant fait pour ça non ? Nous écouter, nous répondre. A t-on peur de la réponse ? Ou de la question en elle-même ? Est-ce de la pudeur, de la flemmardise, de la frayeur ? Peu importe finalement. La seule vraie réponse, c'est que parfois, c'est trop tard.Toutes les couleurs de la place Benett avait disparu, même la Tour Saphir me paraissait minuscule. Tout était fade, comme si mon plus profond ressentiment avait pris possession du pinceau de mes pensées.
Je suis arrivé chez moi, Titus m'attendait gentiment comme toujours. Même s'il ne pouvait comprendre, je sais qu'il ressentait. J'ai ouvert la fenêtre qui donne sur la rue, posé mon cul sur le fauteuil, Titus sur le sien en face. Un verre à la main, une clope, et le vide absolu. J'ai tout de même gardé le téléphone près de moi. Je me prépare à éventuellement devoir répondre à ma mère, ou bien pire, à Stuart. Je ne peux ni voir mon frère, ni ma sœur avant minimum demain matin, la nuit sera longue.
Les heures passaient, les litres s'écoulaient, et les nuages défilaient. J'étais pourtant extrêmement fatigué. Pas de nouvelles de ma mère, ni du Lieutenant. Soudain Titus a sursauté et s'est dirigé vers la porte. Ça venait de toquer, sans lui je n'aurais même pas entendu. Qui cela pouvait être, à 2h du matin ?
Un peu trop alcoolisé pour réfléchir totalement, j'ouvre la porte de manière assurée, comme si j'attendais un colis. Mon poul s'est calmé : c'était Paula.
- Bordel, ça fait 3h qu'on essaye de te joindre avec ta mère, qu'est ce que tu fous, tu nous as foutu la trouille, m'assome t-elle en me donnant des coups de sacs.
J'ai à peine pu lui répondre qu'elle se rue sur mon téléphone.
- Il est éteint, s'exaspère t-elle en me regardant d'un air un peu énervé.
Je me suis senti débile. Pour une fois que j'étais attentif, il risquait pas de se passer grand chose.
- J'ai dû l'éteindre sans faire gaffe, ou la batterie... je lui bafouille comme je peux.
- Bref, peu importe, tant que tu vas bien. On a forcément eu vent de ce qu'il s'est passé au "Glemington", ta mère n'a de nouvelle d'aucun de vous, qu'est ce que c'est que cette histoire ? Me demande t-elle, la dernière fois que tu étais à la librairie, tu es parti pour une urgence avec ton frère, explique moi bordel !
- C'est compliqué, écoute, Jess est à l'hôpital, sa vie est en danger. Soly aussi y est, mais c'est rien, il s'en sortira. On.. on s'est fait.. tirer dessus. Semble t-il, en tout cas..
-.. TIRER DESSUS ??! Mais pourquoi, qu'est ce que ?! s'exclame t-elle, à en faire soupirer Titus.
- Je n'en sais rien Paula d'accord ? J'essaie de comprendre, désolé de pas t'avoir prévenue. Ma sœur est entre la vie et la mort, qu'est ce que je suis sensé faire, sensé dire ?!
Je sens mes larmes monter. Je suis pas triste. Je suis énervé. Énervé de ne plus avoir le contrôle de rien, de devoir attendre, ma patience si légendaire, putain.
- Il faut que tu préviennes Babeth, elle se fait du souci pour vous. Elle a le droit de savoir, surenchérit Paula.
Elle m'a pris dans ses bras, m'a embrassé la joue, et s'est dirigé vers la porte.
- Si il y a quoique ce soit, appelle moi. Tu sais que je suis à côté. Et pour ça il faut que ton téléphone soit allumé. Idiot, dit-elle, une larme au coin de l'œil, avant de claquer la porte derrière elle.
J'ai tout lâché dès que j'ai entendu ses pas s'éloigner dans l'escalier. Je n'avais pas pleuré depuis des mois, peut être même des années. J'avais de quoi remplir une bouteille d'huile pimentée à pizza.
Titus est venu s'asseoir à mes côtés. Je finis mon verre de whisky, et tends la main vers mon téléphone. Comment j'allais annoncer à ma mère, que sa propre fille, n'était peut être plus de ce monde, et qu'on allait tous peut-être la suivre...?
À suivre...
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Sombre exutoire
Ficción GeneralChapitre par chapitre, suivez le quotidien mouvementé de "Koss", sa famille, ses amis et le reste, dans une petite ville divisée par les déboires relationnelles des êtres humains.