Un point de suspension

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Comment j'allais annoncer à ma mère, que sa propre fille, n'était peut être plus de ce monde, et qu'on allait tous peut-être la suivre...?

Ça sonne dans le combiné. J'ai l'espoir que ma mère se soit endormie, même si au fond de moi, j'en doute fort. Comment une maman pourrait trouver le sommeil en n'ayant aucune nouvelle de ses trois enfants ? En effet, j'en doute fort. Soudain sa petite voix a résonné dans mon oreille.

- Allo, Koss ?

Je sens la fatigue dans sa voix. Des sanglots étouffés et un zeste de désespoir et d'incompréhension.

- Oui maman, je ne te dérange pas ?

Oh la question con. Qu'est ce que je déteste le téléphone. Peut-être même autant que les betteraves.

Je vous épargne tout ce que vous savez déjà. Pour l'instant, j'étais moi même dans un flou total, et je n'avais aucune vraie information à lui donner.

J'ai essayé de la rassurer comme je peux, de lui donner les derniers morceaux d'espoir que j'avais. Elle aussi d'ailleurs. Elle m'a confirmé qu'une escorte policière était postée devant chez elle à présent. Je vois que Stuart prend les choses au sérieux, on peut pas lui retirer ça.

- Je te rappelle demain dès que j'en sais plus. Va te reposer si tu le peux, lui dis-je avant de raccrocher.

Mon énergie est au plus bas. Elle est même dans le négatif. Je pense que si j'arrive à rester éveillé c'est parce que je puise dans celle de Titus. Il était bientôt 4h du matin, je décide de sortir le chien, place Benett, comme d'habitude. Marcher m'aide à vider mon esprit. Regarder les étoiles, écouter le silence, un exorcisme de douleur intemporel.

La rue est déserte. Plus aucune lumière n'éclaire le bitume, si ce n'est celle de la Lune. Pas un bruit, la rue semble aussi morte que l'âme d'une femme délaissée par la foi, ou qu'un enfant abandonné sur le parvis d'une église. Tandis que nous traversons la place Benett, je décide en regardant Titus du coin de l'œil de retourner près du "Glemington", sans trop savoir dans quel but. Ça nous fera un peu de chemin en plus, mais c'est pas comme si j'avais autre chose à foutre.

Nous sommes arrivés sur les lieux, encore délabrés de la veille. La vitrine barricadée par des planches de bois, les barrières de police, et les traces de pneus au sol devant le pub.

Des flashs me revenaient dans la tête, c'est tout frais d'hier, je me revois assis, immobile, c'est comme si je pouvais m'observer de l'extérieur. Je n'avais rien vu venir.

Soudain Titus s'est mis à grogner, et ses poils à se dresser. Au loin, une silhouette se rapprochait des lieux, éclairée par les lanternes de l'église. L'alcool que j'ai dans le sang ne m'aide pas à distinguer correctement les formes qui se dessinent devant nous, tout en se rapprochant. Titus, de nature méfiant et sur la défensive, ne m'aide pas vraiment non plus, ce con. Avec les événements récents, je m'attends au pire, mais pour autant je suis plutôt détendu, bizarrement.

- Oh excuse moi, je ne voulais pas faire peur à ton chien...

J'ai reconnu cette voix. Un timbre doux, comme si le vent décidait de venir caresser mes tympans, et qu'un arc-en-ciel de notes perçait la nuit noire. C'était elle. Comment Paula m'avait dis déjà...?

- Sara, me dit-elle, comme si elle avait lu dans le fond de mes pensées.

- Oh, euh, Koss, enchanté. Désolé si on t'a effrayé, Titus est plutôt impressionnant quand il s'y met.

Je n'ai même pas remarqué tout de suite que Titus s'était calmé, assis à mes pieds, tandis que Sara se rapproche de nous.

- Qu'est ce que vous faîtes ici si tard, tous les deux un samedi ?, me demande t-elle, curieuse.

- Oh euh, Titus voulait faire pipi, alors euh, on en a profité pour faire un grand tour au calme. Mais, et toi surtout ?, je lui réponds de but en blanc.

- Et bien, je vais travailler. Je suis infirmière à l'hôpital, et en ce moment, c'est un peu la folie j'avoue.. c'est fou d'ailleurs ce qu'il s'est passé ici.. tu connais ce pub ?

Et hop, c'est reparti. Voilà que mon cerveau s'active, il faut répondre vite, pour éviter de passer pour un fou. Alors, la vérité ? Et elle fuit aussi vite qu'elle est arrivée ? Un mensonge, et elle fuira aussi vite qu'elle fut arrivée ! J'opte à nouveau pour la solution trois, une sorte de mit-mit.

- Oh euh, jusqu'à hier ça m'arrivait de venir un peu oui, c'était plutôt sympa comme endroit. J'aime bien le quartier disons, mais oui c'est affreux ce qu'il s'est passé..

J'avais l'impression de passer un oral. De réciter ce que les distorsions de mon cerveau m'envoyait, comme un vulgaire pantin. J'étais perdu entre la beauté de ses yeux, le regard hébété de Titus qui s'impatientait, et tout ce qu'il s'est passé ici. Puis soudain, une petite illumination dans mon crâne.

- Ça te dérange si on t'accompagne ? Tu passes par Benett non ? On habite là bas avec Titus, c'est notre route, je lui demande gentiment.

Nous avons donc rebroussés chemin, en direction de l'hôpital. Celui-ci se trouve près du commissariat et aussi du tribunal où je travaille, donc un peu après mon appartement, au niveau de la Tour Saphir. Sur la route, nous avons échangés de tout et de rien, son job à l'hôpital, de Titus, de son arrivée à Delmar.

Il semble qu'elle se soit installée ici suite à sa mutation pour notre hôpital. Elle a choisit le quartier Nord par soucis de proximité, n'ayant pas de véhicule. Puis elle est tout de suite tombée amoureuse de la petite librairie de Paula, je ne peux que la comprendre. Nous sommes arrivés devant mon immeuble. Les lumières de la ville s'étaient allumées, et l'air était doux.

- Tu as cinq minutes, pour monter boire un café ?, je lui demande, opportuniste.

- Je suis déjà un peu en retard désolé, mais je fini assez tôt aujourd'hui, si tu veux en rentrant, pourquoi pas ?!, me répond-elle toute souriante, au revoir Titus !

Je la regarde s'éloigner, comme on observe un bateau rejoignant l'horizon, jusqu'à sa disparition, comme si sa présence n'avait jamais été réelle. Un court instant j'ai échappé à cette réalité qui m'entoure, à cette nuit interminable et cette noirceur épouvantable. Pour un petit moment, j'ai cessé de réfléchir, de penser.

On a rejoint l'appartement avec Titus, histoire de manger un petit bout tous les deux. Je n'ai pas le temps de dormir, je dois rester prêt à n'importe quelle éventualité. Je décide de me remettre à la fenêtre, et de regarder le soleil se lever, venir redorer un peu la place Benett. La parenthèse est fermée.

La journée allait encore être éprouvante. Dès la première heure du jour, j'irai voir le Lieutenant Stuart pour avoir plus d'informations, et ensuite, je ramènerai mon frère chez lui, quand il pourra enfin sortir. Pour ma sœur, je n'en sais rien. Peut être que Sara pourra m'en dire davantage que les médecins ? Cela impliquerait de devoir lui expliquer ? Encore une fois, je ne sais quoi dire, quoi faire. C'est tellement plus simple de n'avoir à parler qu'à soi même. On peut tout se dire, tout entendre dans notre esprit, on restera la seule personne impliquée par nos déboires.

J'avais jusqu'à ce midi pour réfléchir, avant d'éventuellement la revoir, en fonction de comment se sera déroulée la matinée bien entendu. Pour l'instant, c'est pas comme si toute ma vie se passait comme prévue.

À suivre...

Sombre exutoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant