J'avais jusqu'à ce midi pour réfléchir, avant d'éventuellement la revoir, en fonction de comment se sera déroulée la matinée bien entendu. Pour l'instant, c'est pas comme si toute ma vie se passait comme prévue.
Je pense que j'ai pu m'assoupir au moins dix petites minutes. Me voilà requinqué pour toute la journée - pas du tout - et prêt à partir pour le poste de police. Les températures étaient un peu froides ces derniers temps, ou alors ça venait de moi. J'ai enfilé un col roulé blanc, un long manteau noir et un cargo noir, puis je suis sorti en disant au revoir à Titus, qui se couchait sur son fauteuil.
Je ne sais pas à quoi je dois m'attendre. Mais il me fallait des réponses, l'angoisse et l'anxiété ont pris le dessus sur tout mon corps, et je fatigue deux fois plus vite. J'ai allumé une cigarette sur le chemin, le ciel était gris, mais la pluie ne semble pas pointer le bout de son nez. C'est peut être bon signe. Ou peut-être que le déluge se prépare.
Je suis arrivé rapidement devant le commissariat, comme si j'avais inconsciemment marché deux fois plus vite.
- Je viens voir le Lieutenant Stuart, je précise à l'agent d'accueil.
- Vous pouvez allez directement dans son bureau, m'indique t-il, il vous attend.
Je me suis hâté vers son bureau, j'ai frappé et je suis entré.
- Assieds toi, je t'en prie Koss. Un café ? Me demande t-il en me montrant une tasse "I Love Police".
- Cappucino s'il vous plaît, volontiers.
L'atmosphère est pesante. J'ai l'impression d'être là pour un crime odieux que j'aurais pu commettre. Alors que pour le moment, c'était pas vraiment le sujet.
- Bien, tu te doutes que tout ce foutoir ne peut être un enchaînement de coïncidence.
J'acquiesce, il poursuit.
- Un incendie criminel, une triple tentative de meurtre, et tout ça quelques jours après le décès de ton père. On commence même ici à se poser des questions sur la mort de celui-ci, pour être franc avec toi.
Je ne répond rien, je me contente d'hocher la tête en buvant mon cappucino, un peu dégueulasse par ailleurs. Je sais que la mort de mon père n'a rien de criminel, évidemment. Mais je ne peux nier qu'il a tout de même l'air d'être un élément déclencheur. Comme si j'avais provoqué quelque chose d'incontrolable.
Il continue.
- On a fouillé dans les débris de l'incendie, puis dans le bureau de ton père chez tes parents. Il semblerait que ton père ait eu quelques soucis avec des trafiquants du quartier Est... Les Grango faisaient passer le whisky de ton père en dehors de Delmar contre un peu d'argent. Ton père pouvait exporter son surplus sans rien déclarer en retour. Sauf qu'il semblerait que depuis quelques temps, les comptes de l'entrepôt n'étaient pas très fleuri malgré tout, et que ton père flambait un peu trop..
- Mais alors, mon cousin Brondy ?..
- C'est ce qu'on pense. C'était déjà, semble t-il, les prémices d'un avertissement. À l'époque, ça ressemblait à une simple bagarre qui dégénère. Tu connaissais ton cousin, il aimait bien les histoires compliquées. Mais aujourd'hui on assiste à la tentative de radiation de toute ta famille, ça ne fait aucun doute...
Je suis resté muet un moment. On était en train de payer toute la misérable vie de mon père, et j'avais tout accéléré involontairement en provoquant sa mort.
- Et alors maintenant ? Je demande, un peu pris de court.
- Alors maintenant on va surveiller de près les Grango de l'Est. On a pas vraiment de preuve de tout ça, ils ont fait ça comme des pros. On peut simplement miser sur un flagrant délit ou sur l'approfondissement de notre enquête. Me dit-il, d'un ton beaucoup trop professionnel.
- Ah. Donc on va jouer les cobayes, et tomber comme des mouches ?
- On empêchera toute nouvelle tentative Koss. Fais nous confiance.
Je suis sorti, un peu sonné par tout ce que je viens d'entendre. Si j'ai bien compris, chaque membre de ma famille est désormais un petit pion, prêt à être abattu, juste pour des histoires d'argent et de whisky ? Et bah, quelle vie.
Enfin bon, je rallume une clope, et je me dirige vers l'hôpital, non loin d'ici, j'ai l'impression que cette journée va être encore très très longue.
Je suis arrivé devant l'hôpital, j'espère ne pas croiser Sara pour le moment, afin d'éviter que tout ne se mélange dans mon crâne. Je dois retrouver mon frère, lui expliquer tout ce cirque, et le ramener chez lui, en vie. Avant ça, j'espère que nous aurons des bonnes nouvelles de Jess.
L'hôtesse à l'accueil m'a dirigé vers la chambre de mon frère.
- Comment ça va frangin ? Je lui demande en le serrant dans mes bras.
- Ça va et toi ? Je m'en sors bien, juste un peu sonné, me répond-il.
Je prends le temps de lui raconter mon entrevue avec Stuart. Mon frère semble tout aussi confus que moi. Nous nous sommes levés pour sortir de la chambre, quand tout à coup, le couloir semble s'affoler. Des infirmiers et des médecins qui se pressent, les visages crispés.
- Dans cette direction il y a la chambre de Jess, s'affole Soly.
Nous nous sommes regardés puis instinctivement, précipités dans le couloir. J'ai suivi mon frère jusqu'à la chambre de notre sœur. On l'aperçoit à peine, au milieu du corps médical, regroupé autour d'elle.
Un infirmier tente encore d'entrer dans la chambre.
- Messieurs, désolé vous ne pouvez pas rester ici...
Les professionnels de santé ce sont tournés vers la porte pour nous regarder, l'air désolé. C'est à ce moment que j'ai croisé son regard, celui de Sara.
J'ai à peine eu le temps de réagir, que soudain, dans nos deux crânes, à mon frère et moi, a résonné une phrase, que nul être humain ne peut jamais souhaiter entendre.
- Heure du décès, 8h46.
Tout est devenu flou, j'ai les oreilles qui sifflent, et le coeur qui bat comme un jour de premier idylle. Nous nous tenons, mon frère et moi, debouts, impuissants, dans la chambre de notre sœur, et devant nos yeux, à son tour, elle venait de partir. Notre dernière activité en famille, aura été une fusillade.
À suivre...
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Sombre exutoire
General FictionChapitre par chapitre, suivez le quotidien mouvementé de "Koss", sa famille, ses amis et le reste, dans une petite ville divisée par les déboires relationnelles des êtres humains.