Soudain, mon téléphone a sonné dans ma veste de costume. Le Lieutenant Stuart... Bizarre. J'ai soupiré, craché la fumée, avant de décrocher.
- Bonjour Koss, j'espère que je ne te dérange pas ? commence le Lieutenant.
Non, bien sûr, j'ai enterré mon père il y a quelques heures, c'est évident que parler avec un flic au téléphone, c'était la meilleure activité pour égayer ma journée.
- Pas du tout Lieutenant, je vous écoute, dis-je, l'air hypocrite.
- Écoute Koss, je veux pas t'emmerder avec ça aujourd'hui - si visiblement... - mais avant de clore le dossier, on aurait quelques questions à te poser sur le décès de ton paternel, si tu pouvais passer demain matin, s'il te plaît.
Super. Ma seule grasse matinée de la semaine, flinguée. Puis qu'est ce que je détèste ces phrases à demi-mots, tu peux pas me poser ta foutue question maintenant ? J'aurai bien voulu éviter de cogiter toute la nuit, anticiper ta question une centaine de fois, m'imaginer devoir nier la moitié des choses, me demander qui s'occupera de mon chien quand je serais en taule ? Les gens tournent toujours autour du pot, sans penser à celles et ceux qui réfléchissent sans arrêt, pour un rien. Je passe ma vie à m'imaginer dix scénarios par jour, parfois juste parce que j'ai une tâche sur mon pull, parce que je me suis mal garé, ou parce que quelqu'un m'a potentiellement souri dans la rue.
- Oui bien sûr, aucun problème, j'arriverai pour 8h30, je réponds, en totale contradiction avec ce que je viens de penser, à demain Lieutenant.
La pluie n'a pas cessé depuis tout à l'heure. C'était même de plus en plus fort. J'ai toujours aimé la pluie, c'est comme si les gouttes du ciel qui coulaient sur mon visage, sur mes vêtements, emportaient avec elles toutes les pensées noires accrochées à mon corps. C'est frais la pluie, et puis le point le plus positif c'est qu'ici, elle chasse les gens. Je rentrais chez moi, et je n'ai croisé que des chats, des oiseaux. Un ou deux courageux qui sortaient leur chien, et qui me font penser que le mien doit m'attendre tout guilleret à la maison.
Le quartier Nord a toujours été un peu gris, mais je crois que c'est ce que j'aime. Puis c'est le plus grand, et les plus beaux monuments de la ville de Delmar sont ici : la grande place arborée Bennett, le musée du pantalon, la grande Tour Saphir, qui surplombe la ville. Le seul point commun entre les quatre quartiers de Delmar, c'est le grand fleuve. Et ses cadavres.
Je suis arrivé devant mon immeuble, j'ai salué Greg le concierge, et je suis monté au dernier étage, rejoindre mon appartement. Titus m'attendait gentiment derrière la porte. C'est fou le pouvoir qu'ont les chiens pour te faire oublier, le temps de quelques secondes, à quel point ça pue la merde la vie dehors. Je me plains pas, j'ai un toit, et un chien qui m'aime, mais bon, je me permets de constater.
Posé dans mon lit, la télé allumée, à caresser mon chien, je voulais lire un bouquin, que je n'arrive jamais à finir, et que j'avais emprunté en bas, dans la librairie de mon amie Paula. Mais forcément, mon cerveau en avait décidé autrement. Que pouvait-bien me vouloir cet enfoiré de Stuart ? Pour eux, mon père a picolé, encore, il est tombé, point final. Est-ce que quelqu'un d'autre aurait pu savoir que j'étais là ? Ma mère aurait-elle craqué ? Impossible. Peut-être que finalement il allait simplement me demander qu'elle était ma pizza préférée ? Merde. C'est à ce moment que j'ai compris que j'allais certainement pas fermer l'œil de la nuit. Encore.
Je me suis allumé une cigarette, servie un verre de whisky familial, et à ma fenêtre, j'ai regardé la rue, déserte, éclairée, et pluvieuse. Oui, c'est comme ça que mon père gagnait sa croûte. Dans le whisky, c'est marrant non ? Enfin bon, dorénavant ça sera l'affaire de mon oncle, le père du cousin Brondy. Ça m'arrange à vrai dire, j'ai pas le temps -surtout l'envie et l'énergie- pour gérer une entreprise, déjà que mon petit job de bureau au tribunal m'emmerde. Tout est si rapide, si éphémère dans la vie, qu'est ce que je m'en veux d'être si dépendant du fric. Mais bon, faut bien manger, et j'aime trop ma famille -et mon lit- pour m'envoler ailleurs. Je dois être un flemmard.
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Sombre exutoire
قصص عامةChapitre par chapitre, suivez le quotidien mouvementé de "Koss", sa famille, ses amis et le reste, dans une petite ville divisée par les déboires relationnelles des êtres humains.