Un ange dans les flammes

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Et merde, voilà que je pensais encore beaucoup trop, et, le ciel se couvrait à nouveau, quand je suis arrivé devant la librairie de Paula, "L'Esperanza".

La librairie de Paula est une des plus belles que j'ai eu l'occasion de voir. Une vitrine colorée et épurée, qui vient se marier parfaitement avec la végétation de la place Benett juste en face. Un lieu plein d'espoir, comme son nom l'indique, et comme on peut le lire dans le regard de son hôtesse. Lorsque l'on pénètre dans le lieu, l'atmosphère nous embaume du parfum des livres, cette odeur espiègle et nostalgique du papier, combinée à un soupçon de caramel - cela, c'est peut être simplement de mon fait - vient nous caresser agréablement les narines. Notre esprit chasse automatiquement le noir du monde extérieur, et laisse place à un arc-en-ciel de sensations, et de sentiments de bien-être et de rêve. A gauche, les livres jeunesses, qui me ramènent à une époque qui me semble presque totalement sortie de mes pensées. A droite, les romans policiers, parfois malheureusement trop proches de la réalité d'ici, à Delmar. Au plafond, des luminaires suspendus qui diffusent une légère teinte tamisée au dessus des grands classiques de la littérature française, et du monde entier. Des cadres photos et des peintures aux murs, qui semblent là pour rappeler le capharnaüm qu'il existe dans la tête de mon amie Paula.

Ces deux parents sont décédés il y a quelques années dans un accident de voiture. Parfois, vous vous levez le matin, vous êtes jeune et souriante, et en une fraction de seconde, sans savoir pourquoi, la vie décide de vous rappeler que le bonheur n'est qu'une maladie passagère. J'étais là quand elle a appris la nouvelle. Son visage s'est décomposé, comme une œuvre abstraite qui ne prenait sens que pour celui qui l'admire. Elle s'est figée, comme le temps en hiver, lorsque le froid impose son silence et ses névroses. La voir s'écrouler dans mes bras a sûrement été l'une des choses les plus compliquées à vivre. Qu'est-ce qu'on peut bien dire dans un moment pareil ? "Ça va aller t'inquiètes" ? - "Ah merde, désolé" ? - non je pense que parfois, fermer sa gueule, c'est une des plus belles choses que l'ont peut offrir en guise de réconfort.

Et pourtant, c'est bien vrai ce qu'on entend, tout passe. Soit parce qu'un jour, on meurt à notre tour, et tout s'arrête avec nous. Soit parce que le temps nous fait un peu oublier. En nous ajoutant d'autres soucis par exemple. Enfin bref, tout ça pour dire, que Paula est comme une deuxième sœur pour moi. D'ailleurs elle s'entend très bien avec ma sœur Jess, qui dévore les livres autant que je dévore les pizzas.

Je suis entré dans la librairie, et j'ai enlacé Paula pour la saluer.

- Alors, comment tu te sens depuis l'enterrement ? Dit-elle, pleine de compassion.

- Oh, bah bizarrement ça va, mais je venais justement te voir pour ça. Je sors du commissariat à l'instant, le Lieutenant Stuart voulait ma version des faits, je lui réponds, d'un ton un peu fatigué.

- Cet enfoiré de Stuart, toujours le sens du timing, enchaine t-elle, mais de quelle version il parle, à croire qu'il y en a cent ? Ton père était débile et plein comme un sac de shopping, ça devait lui arriver.

- Figure toi que la voisine a décidé de dire que j'étais sur les lieux à ce moment là. Alors dans le doute...

- ... Bah tu n'y étais pas, si ? M'interroge t-elle.

- Non bien sûr, mais pour éviter d'avoir à y retourner, j'ai dis que j'étais avec toi... Je lui réponds.

Je déteste avoir à lui mentir, surtout qu'elle n'est pas bête. Mais pour l'instant, je préfère garder tout ça pour moi. Un peu comme tout en fait. Comment on dit déjà, avoir son jardin secret ? Je crois que je suis paysagiste à ce niveau. J'y ai carrément des hectares arborés et de belles fleurs fanées dans ce satané jardin à la con.

- Hm, je comprends. Mais oui bien sûr, on buvait un café ici, je me rappelle bien hein, voyons ! Dit-elle d'un ton narquois.

Soudain mon regard s'est tourné vers la porte. La petite clochette de l'entrée s'était mise à sonner. Il y avait peu de monde, on est une matinée en semaine, les gens sont pour la plupart au travail, ou au lit - les chanceux - mes yeux se sont donc posés instantanément sur la jeune femme qui venait d'entrer. La ville n'est pas immense, et je connais beaucoup de monde, Paula aussi d'ailleurs, surtout dans le quartier Nord, et le quartier Ouest. J'avais déjà aperçu cette dame ici même, mais on savait qu'elle n'était pas à Delmar depuis si longtemps.

Une démarche un peu naïve, et le regard foncé, mais brillant, qui se perd dans la masse de livres qui l'entoure. Un sourire étincelant, et une petite voix douce et innocente, lorsqu'elle a dit bonjour en entrant. Un style simple, mais élégant, on pouvait deviner à travers ses lunettes et son chignon qu'elle savait déjà ce qu'elle cherchait.

Paula est allée la rejoindre, pour la guider dans les rayons de la librairie, vers son trésor. Elles sont revenues toutes les deux à la caisse, et je me suis écarté pour lui laisser la place.
Son petit sourire léger, failli me faire trébucher sur les "nouveautés de la semaine" !

Elle a quitté la boutique, aussi vite qu'elle est apparue. Laissant derrière elle un doux parfum, et une atmosphère apaisante.

- C'est Sara son prénom. Je me suis permise de lui demander, vu que tu t'es transformé en lampadaire d'arrêt de bus là pendant 10 minutes, me lance Paula, d'un air moqueur.

- Oh l'ambiance... Tout de suite les grands mots va. C'est pas tous les jours qu'on croise un ange ! Laisse moi tranquille oui... Je lui rétorque, comme un enfant de 7 ans.

Nous avions à peine pu parler d'autre chose, que mon téléphone s'est de nouveau mit à sonner. Mon frère Soly. Bizarre, on s'aime, mais on ne s'appelle jamais, sauf en cas d'urgence ou pour les cadeaux de Noël, mais on est en mai. C'est sûrement pour ça que mon coeur a triplé de cadence.
Et puis c'est pas nouveau, les mauvaises nouvelles arrivent toujours par la poste, ou par téléphone maintenant.

Je présente mes excuses à Paula, et sors devant la librairie pour répondre.

- Bah alors frangin, je te manque déjà ? Je lui lance, pour masquer mon angoisse.

- J'aurais préféré Koss, mais on a un sacré problème. Rejoins moi à l'entrepôt de whisky de papa dès que tu peux, j'y suis dans 10 minutes, me répond t-il d'un air sérieux.

Mon petit frère est souvent le moins sérieux de nous deux, en tout cas sur les sujets sensibles. C'était pas de bon augure du tout. Et puis, tout ce qui était lié à mon père, ne l'était pas de toute façon.

J'ai dis au revoir à Paula, en lui cachant bien sûr de nouveau la totale vérité, et en mentionnant simplement une urgence avec mon frère. Je ne veux pas qu'elle panique, même si elle a dû voir ma tronche de cadavre.

J'ai allumé une clope, et je suis retourné chez moi prendre ma voiture.

L'entrepôt de whisky de mon père se trouve dans le quartier Ouest de Delmar, dans une zone d'activité en bord de ville. C'est pour ça qu'on a pas mal grandi aussi près des Tahud, la grande famille de l'Ouest. Des débrouillards du bitume, et des gens bien. Pleins de ressources et d'astuces qui peuvent parfois te sauver la vie.

Je me suis dirigé vers le quartier Ouest, et j'ai très vite compris ce qui semblait se passer. Au loin, une gigantesque fumée noire embrumait l'horizon. Des sirènes de camions de pompiers défilant les routes à toute vitesse, dans la même direction que la mienne. J'ai appuyé un peu plus sur l'accélérateur, en direction d'un nuage qui cette fois-ci, ne fera pas tomber de pluie.

A suivre...

Sombre exutoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant