Méta-formes

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Loïs

— On reprend une dernière fois. Plus de grâce au moment du porter, Camille. Ton mari peut te soutenir. Ne te crispe pas. Incarne le mouvement jusqu'au bout des ongles.

Déterminée, la jolie blonde hoche la tête, puis les amoureux se remettent en place au milieu de la salle. Dès qu'ils sont prêts, je redémarre la musique et les observe évoluer dans la petite pièce qui me sert, provisoirement, de studio de danse.

Max m'a promis de rénover le grand cabanon au fond du jardin d'ici l'été prochain. Il me tarde que les travaux s'achèvent. Si je ne danse plus en pro depuis longtemps, je continue de pratiquer assidûment ce qui correspond désormais à un simple loisir. Même en me limitant à des troupes de petite envergure, ma cheville n'a pas tenu et, malgré de multiples séances chez mon adorable kiné, j'ai dû déclarer forfait l'année de mes trente ans.

Max s'est montré exemplaire quand le couperet est tombé. Il m'a soutenue, coûte que coûte, y compris dans mes accès de larmes et de rage. Si j'ai réussi à m'en sortir sans trop de dégâts, c'est en grande partie grâce à lui.

— Plus haut, la jambe, Camille.

Ma belle-sœur s'exécute, non sans une effectuer une grimace lorsque Gab vacille légèrement sous son poids. Après ses quatre grossesses, sa taille s'est légèrement épaissie. Si j'en crois ses postures raides et crispées, ce changement la complexe. J'aimerais lui assurer que sa silhouette reste belle et sportive, seulement, je crains de passer pour la petite jeune qui rassure son aînée à coup de compliments foireux. Très mauvais plan, quand on connaît Camille et sa précision au lancer de cheesecake. Trois ans plus tôt, Gab en a subi les conséquences après avoir qualifié sa dernière création pâtissière de « relativement correcte ».

Je sais que je ne fais pas mon âge. Mon patrimoine génétique, couplée à une hygiène de vie exigeante, m'offre quelques faveurs, dont celle de conserver l'allure d'une minette de vingt-cinq ans.

Je ne vais pas m'en plaindre.

— Voilà, c'est mieux. Maintenant, on accélère ! Vous pouvez y arriver !

Confiants, les amoureux se lancent dans un enchaînement plus audacieux, qu'ils réussissent haut la main. Eux aussi continuent à pratiquer régulièrement la salsa. Ça se sent. Leur alchimie, même quinze ans plus tard, crève les yeux. Ils brillent, ils volent, ils étincellent. De vrais stars.

Bien qu'ils m'aient répété à plusieurs reprises qu'ils n'espéraient pas gagner le concours, que celui-ci offrait surtout un bon prétexte pour nous rendre visite, ils possèdent l'étoffe de vainqueurs. C'est pourquoi j'ai proposé de les entraîner chaque soir, en revenant de la plage ou de virées dans les montagnes.

— Très bien ! Gab, on arrive sur le porté le plus difficile. Tout repose sur tes épaules. Montre-moi que tu n'es pas un vieux croulant.

Mon frère fronce les sourcils, bande ses muscules et fait virevolter sa femme avec aisance. Impec. Gabriel n'a pas tant changé que ça, avec l'âge. La provocation reste un levier facile à un actionner. Un levier qui vient, à nouveau, de fonctionner.

— Un sourire, Cam ! Allez !

La pâtissière obéit et mon cœur s'allège.

Si une partie de moi continue, continuera toujours, de pleurer ma carrière de danseuse, j'adore enseigner. Plus que tout le reste, cette mission de transmission me comble. Grâce à elle, je me sens bien. À ma place.

— Et voilà ! Terminé pour aujourd'hui !

Mon frère et sa femme s'enlacent, transpirants mais heureux. Pour un premier entraînement, ils s'en sont magnifiquement bien sortis. Nous avons repris la chorégraphique qu'ils avaient prévu d'interpréter et modifié quelques pas afin de la rendre un peu plus spectaculaire. Je connais bien ce genre de compétition, il faut en jeter plein la vue au jury.

On s'était dit rendez-vous dans quinze ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant