En avoir ras les burnes

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Liam

Le centre d'Ajaccio m'accueille avec une douceur inattendue. À près de 9 heures du matin, la rue principale fourmille de monde. Des locaux sont installés en terrasse, dégustant café et pâtisseries sous un soleil encore timide ; les commerçants s'agitent, une cigarette au bec, devant un étalage de produits frais et d'autres touristes, comme moi, flânent, un sourire aux lèvres, bercés par la chaleur encore supportable.

J'ai mis presque une heure pour arriver jusqu'ici. Loïs et Max n'habitent pourtant pas si loin à vol d'oiseau, mais je me suis plu à me perdre dans les dédales des rues et autres chemins de traverse. J'avais besoin d'air. De solitude. De calme. Après la soirée d'hier, et malgré une nuit passée à dissoudre ma colère dans un corps-à-corps torride avec Aly, je me suis réveillé avec une gueule de bois faramineuse qui ne doit rien à l'alcool.

Mes potes me prennent encore et toujours pour un beauf. De célibataire craignos, je suis devenu un papa ridicule. C'est à se demander si, un jour dans notre amitié, ils m'ont témoigné un peu de respect.

— Un bout de fromage, monsieur ?

Je me tourne vers la voix cristalline qui a prononcé ces mots. Une jolie demoiselle, d'une vingtaine d'année, me fixe d'un air aguicheur, une planche de brebis à l'arôme plutôt intense entre ses mains.

Elle est belle, jeune, fougueuse, et je songe que vingt plus tôt, j'en aurais fait mon petit déjeuner. Désormais, je me rapproche de l'âge de son daron et j'ai une famille qui roupille à moins de dix kilomètres de là.

Aucune nostalgie ne s'engouffre dans ma poitrine et ce constat m'apporte une sérénité que je n'espérais plus.

— J'ai ce qu'il faut chez moi.

Et c'est vrai.

La commerçante sourit, pas dupe du sous-entendu. Elle secoue la tête distraitement, puis attrape un morceau de son produit pour le glisser entre mes lèvres. Bordel, elle ne veut pas me toucher la bite, aussi ?

Sonné, j'avale le minuscule morceau en fronçant les sourcils.

— Tu es en Corse, énonce-t-elle avec malice. Les problèmes fondent avec le soleil, ici.

Je lâche un rire moqueur. Sans déconner, elle ne va pas me balancer un discours philosophique au milieu de ses frometons ?

— Qui vous dit que j'ai des problèmes, mademoiselle ?

Contrairement à ce que j'imaginais, insister sur son jeune âge ne la déstabilise pas du tout.

— Ta tête, guapo. Allez, va plonger dans la mer. Si le fromage n'a pas réussi à alléger ton esprit, seule la Méditerranée le pourra.

Un peu mal à l'aise, je la remercie d'un bref hochement de tête et continue ma route.

Aussi étrange que celui puisse paraître, sa suggestion me parle. J'aime l'eau. Son contact m'a toujours contenu et soulagé. Je peux rester des heures dans un bain, et probablement autant dans la mer. Même si celle-ci regorge de poissons bouffeurs de couille.

Pour la défense de la faune locale, l'incident ne s'est pas reproduit. Peut-être que la poiscaille déteste vraiment les poils de burnes, puisque je n'ai été mordu à aucun autre endroit. À moins que je ne sois tombé, ce jour-là, sur un énergumène particulièrement retors et pervers. Entre nous, ça ne m'étonnerait même pas.

Perdu dans mes pensées, mélange de piranhas sanguinaires et de naturistes en panique, j'arrive à destination presque sans m'en rendre compte. La plage Saint-François borde Ajaccio, au pied du Cours Napoléon. Elle n'est pas aussi extraordinaire que les endroits où Max et Lo nous ont emmené, mais elle a le mérite de ne pas nécessiter de bagnole pour s'y rendre. Dans un soupir las, je laisse tomber mon sac à dos et ôte mes sandales, pressé d'aller glisser mes orteils dans la mer. L'eau, d'une température idéale, chatouille mes pieds, délassant mes jambes et mon esprit.

On s'était dit rendez-vous dans quinze ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant