Prise de bec sans langue de bois

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Alyzée

Ne pas pleurer, ne pas pleurer, surtout, ne pas pleurer.

Mon ventre brûle, mon cœur saigne. Je n'arrive pas à passer outre. Outre leurs moqueries, outre leur supériorité, outre leurs airs gênés. J'ai écouté les excuses, hoché la tête bêtement, souris religieusement, tout ça sans conviction réelle. Ma tête a pardonné, pas mon âme.

Et je ne peux rien contre ça.

Au fond, c'est à moi que j'en veux le plus. Je suis fâchée contre ce putain d'utérus aux abonnés absents, contre ce processus d'adoption terriblement long, contre ce vide qui crée un gouffre immense dans ma poitrine.

J'ai besoin de ce deuxième bébé. Il s'agit d'une nécessité vitale, indescriptible, irrationnelle, au point que je me demande si je ne vais pas mourir, si cela n'arrive pas.

Un léger bruit contre le battant me tire de mes pensées. Avant que je n'aie le temps de répondre, la tête de mon mari passe par l'entrebâillement de la porte, rapidement suivi par le reste de mon corps. Un bref instant, ma morosité disparaît au profit des souvenirs ardents de cette nuit.

Liam et moi avons conservé cette habitude de noyer nos douleurs dans le sexe. Nos corps savent souvent mieux communiquer que nos têtes, et c'est ainsi que nous avons traversé les épreuves de ces dernières années. En baisant. Beaucoup. Vraiment beaucoup.

Le regard inquiet de mon amant me ramène à mon obscure réalité. Il arbore le même visage embarrassé que nos amis. Rien que pour ça, j'ai envie de lui mordre le gland.

— Tout va bien, ma chérie ?

Je ne parviens pas à retenir un éclat de rire noir, cynique, amère. Comment ose-t-il me demander un truc pareil ? Est-ce que j'ai l'air d'aller bien, bordel ?

Lentement, il s'avance jusqu'au lit, puis s'assied au bord, à quelques centimètres de mes jambes en tailleur. Sa proximité m'apaise autant qu'elle m'irrite.

— Je suppose que c'est un « non », chuchote-t-il, désemparé par ma réaction hystérique.

— Bien joué, Sherlock ! Un truc en particulier t'a mis sur la voie ?

Une lassitude profonde imprime les traits de l'homme que j'aime et mon palpitant se fendille devant cet accablement non dissimulé. La petite fille en moi se sent atrocement rejetée, si rejetée que la rage enfle dans tout mon corps.

Je n'accepterai pas qu'on minimise ma souffrance.

— Ton agressivité me fatigue, Aly.

— Pardon ?

Je vais le buter, putain !

S'il perçoit la frustration dans mes prunelles, Liam garde son calme. Manifestement, il refuse de m'offrir ce que j'attends, une occasion de me défouler et de cracher ma frustration.

— J'en peux plus, Furie Douce, chuchote-t-il d'un ton grave. Je sais que tu souffres. Je le comprends, mais là... te replier sur toi... ne plus rire, ne plus profiter de ce que la vie nous a offert... Je ne te reconnais plus. J'aimerais retrouver ma femme, plus que tout.

Sa phrase, terrible électrochoc, m'affole autant qu'elle m'agace. J'entends sa sincérité, cette vulnérabilité qu'il m'offre telle un drapeau blanc. Je la lis dans sa posture, dans l'ourlet de ses lèvres, dans ses doigts qui pressent timidement mon genou. Je souhaiterais la cueillir, m'y réfugier, me dévoiler en retour. Me faire alliée plutôt que guerrière.

Je n'y arrive pas. J'ai trop mal. La blessure dans mon âme réclame du sang et des larmes.

— Tu m'en veux de vivre une épreuve ? Une épreuve qui, a priori, ne t'affecte même pas ?

On s'était dit rendez-vous dans quinze ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant