On s'était dit rendez-vous dans quinze ans

Confidences en cuisine

Jasmine

Je vais trucider Fabien.

Voilà ce que je me suis répétée tout le reste de l'après-midi. Focalisée sur ma colère, j'ai à peine profité du pique-nique et des baignades répétées dans les délicieuses piscines naturelles de l'île de beauté. Foutu TSA qui m'empêche de me focaliser sur autre chose que ma frustration ! À moins que le coupable ne soit mon mauvais caractère ?

— Prêts pour le retour ?

La voix enthousiaste de Max, semblable à celle d'un coach sportif en pleine séance d'aquagym pour le troisième âge, me vrille les tympans. Heureusement, ma réplique cinglante reste coincée dans ma gorge, devancée par la réponse de Gab :

— Pas la peine de jouer les animateurs de colo de vacances, mec.

J'adore le danseur. Son arrogance concurrence ma parole sans filtre. À côté de lui, j'ai presque l'air normal.

— Tout roule ! intervient précipitamment Alyzée, prompte à éviter aux deux mâles alphas de se jeter l'un sur l'autre.

— Parle pour toi, grogne son mari, dont la claudication m'arrache un léger sourire.

Si Gabriel décroche la palme de l'insolence, Liam se montre particulièrement bon comédien, et son côté désinhibé, là encore, me rassure. Grâce au prof d'histoire-géographie, je ne détiens plus le prix de la plus grosse gaffeuse de la planète.

— Tu veux que je te prenne ton sac ? propose Fabien.

Je me hérisse malgré moi. J'ai beau ne pas avoir adressé la parole à mon mari depuis trois bonnes heures, j'aspire toujours à défoncer sa petite tronche de beau gosse têtu comme une bourrique. Si je le soupçonne d'avoir autant ruminé sa colère que moi, il l'a, en revanche, beaucoup mieux dissimulé, jouant sa carte préférée, celle du « papa merveilleux » qui multiplie les jeux et les rires avec Aloïs.

Fayot.

— Non merci, soupire Liam d'une voix exagérément faible. Je m'en sortirai.

Son air défait n'apitoie personne, pas même sa femme.

— Arrête un peu de te lamenter, le sermonne la gynéco. Ton orteil n'est même pas rouge. Au pire, il s'agit d'une petite fissure.

— T'en as pas marre de te montrer systématiquement condescendante, chérie ?

Sorti de son rôle de pauvre hère, Liam toise Aly avec agressivité. Étant donné l'incandescence de son regard, je me demande s'il désire lui coller une claque dans la gueule ou sa queue un peu plus bas.

Loïs, restée près des enfants, choisit cet instant pour tenter de ramener l'ordre.

— Ok, alors, je pense qu'Aly voulait simplement ta rassurer, Liam. Même si, bon, son ton pouvait laisser entendre...

— Je rêve ! Tu joues les donneuses de leçons ? Toi ?

Le ton grinçant de Max achève de plomber l'ambiance. A priori, Fabien et moi ne sommes pas les seuls à traverser quelques turbulences.

— Max...

— Allez, les enfants, lance Camille, empêchant la danseuse de renchérir, on est partis !

— Tata Camille, tu n'es pas obligée de nous parler comme à des débiles. On sait bien que tu tentes une diversion, assez pathétique d'ailleurs, pour qu'on ne comprenne pas à quel point vous, les adultes, avez du mal à gérer vos émotions et conflits.

Hébétée, Cam se tourne vers moi. J'esquisse alors un rictus gêné, qui pourrait se traduire par « je te prie de m'excuser pour le comportement inapproprié de ma fille ». Ou un truc dans le genre.