Jour 22 : Tigre, tigre, brûlant brillant.

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Le jour était bien avancé, Nathan se promenait aux abords de la forêt,sur le versant ouest du Pic-Gris, à la recherche de larves et d'insectes qu'ilpourrait manger. Il avait repris quelques forces mais se ménageait. Ilrassemblait du bois mort sur son traîneau de branches et de cordes qu'il s'étaitconfectionné pour remplacer le précédent qui servait désormais à fermerpartiellement l'entrée de sa grotte. Il récoltait également de longues feuilles etdes branches solides pour améliorer son campement. Voilà trois jours qu'il yvivait désormais.Un mouvement dans les feuillages lui fit dégainer son couteau. Ce gestebrusque lui arracha une grimace de douleur qu'il ravala autant qu'il put. Laraison lui ordonnait de fuir ou, au mieux, d'être prudent. Mais il s'approcha dubruit, non loin du ruisseau. Là où l'eau jaillissait des contreforts du Pic-Gris, setrouvait une grotte qu'il découvrait. Il entendait des complaintes animales s'enéchappait.La bête agonisante était allongée à l'entrée de la grotte, à moitié dans lapénombre. Le tigre avait le flanc ensanglanté et respirait difficilement. Il posason regard sur Nathan, voulut se déplacer mais la douleur le fit retomber detout son long. Nathan fixa longuement la créature sans bouger, le douteencombrant son cœur. « Alors finalement, je t'ai touché... »Le garçon rangea son couteau mais resta à bonne distance. Il aurait aiméabréger les souffrances de celui qui fut, un court instant, son ennemi mortel.Mais s'approcher plus était un risque trop grand, qu'il ne pouvait pas prendre.Il n'y avait nulle place à la bonté dans cette jungle. Le félin feula et grognapendant plusieurs minutes contre Nathan avant de finalement serésigner à sa présence.Et tandis qu'il observait les derniers instants de la bête, une pensée letraversa. Il aurait dû être fier, il avait affronté un terrible prédateur, et il avaitvaincu. Son ennemi se tenait à ses pieds, vaincu, tandis que lui gardait la têtehaute. Les larmes lui virent aux yeux devant la déchéance de l'animal. Leseigneur de la jungle, prédateur parmi les prédateurs, réduit à une bêteagonisante, le flanc percé. Toute haine ou colère qu'il avait pu ressentir avaitdisparu, comment la garder devant cette vision ? Il avait survécu. Il avaitfièrement combattu à armes égales, un combat qu'il n'avait pasvolontairement provoqué. Mais devant ce triste spectacle, il n'en tirait aucunegloire, aucune satisfaction.Il s'installa sur une vieille souche, tandis que les mots du poème de WilliamBlake lui revenaient en tête. « Tigre, tigre, brûlant brillant. Dans les forêts de lanuit. Quelle main, quel œil si puissant, purent façonner ton effroyablesymétrie? »Pourquoi le garçon restait-il là ? Pourquoi prenait-t-il le risque que dans unregain d'énergie le tigre l'attaque ? « Dans quels cieux ou abîmes insondés. Abrûlé le feu de tes yeux ? Quelles ailes peuvent l'emmener. Quelle main a osé ensaisir le feu? » Une part de lui se sentait coupable et voulait accompagner lacréature dans ces derniers instants. Une autre tenait peut-être de la curiositémorbide. Une autre encore tenait de l'honneur. Les deux s'étaient affrontés, etNathan voyait une forme de respect à accompagner le perdant dans cesderniers instants. « Et quel bras et quel art, purent façonner les muscles de toncœur ? Écoute comme il bat ! »-Encore. Un. Peu, murmura Nathan.Les mouvements de son flan ralentissaient. Le bout de sa langue pendaitentre ses crocs pointus et il éprouvait de plus en plus de difficultés à respirer.Ses paupières se fermaient de plus en plus longuement. « Que de mains, quede pieds de bonheur! Quelle chaîne, quel marteau ? De quelle fournaise sortiston cerveau ? Et l'enclume ! Quelle poigne cruelle, osa étreindre ses terreursmortelles. » Il parut s'endormir. Ses paupières closes, sa respiration devenue silente qu'elle en était imperceptible. L'ennemi mortel de Nathan n'était plus. Ilétait mort.La jungle entière se tut de longues minutes, plus que le bruit du ventinsensible aux allers et venues de la vie sur terre. Plus que le bruit de l'eau,immuable même face à la course effrénée du temps. Le garçon qui avait vaincuresta là, à observer le corps de la bête à ses pieds avant de finir pars'approcher. Il caressa le pelage de l'animal, se disant qu'il ferait sûrement unemagnifique fourrure. Mais il n'aurait jamais le courage de dépecer la bête. « Etquelle triste fin se serait, être réduit à un trophée ne valait pas mieux qu'êtredévoré par la jungle. Retourne donc à la nature, mon ennemi. » Il aurait puplacer le corps dans le ruisseau et laisser le courant l'emporter dans un dernierhommage. Mais il était bien trop lourd pour être déplacé. « Oui. Qu'il reposedans la nature, là où il a toujours vécu. »Il se releva quand il entendit un nouveau bruissement de feuilles. Ildégaina son arme sans parvenir à voir d'où venait précisément le bruit. Ils'éloigna discrètement pour se cacher dans un fourré sans faire le moindrebruit, les yeux toujours rivés sur la provenance du son. Caché au milieu desfeuillages, il attendit. Une minute. Une autre. Une fougère s'agita. Il finit parentendre un gémissement craintif, puis la créature apparut. Une versionminiature du tigre s'approcha en reniflant sa mère. Elle tenta de la faire bougeren la poussant du museau, mais rien.Nathan l'observa avec attention. Il devait faire cinquante centimètres dehaut, soit la moitié de la taille de sa mère. Ses connaissances concernant lestigres étaient mineures, il n'avait aucune idée de l'âge, ni du sevrage ou quoique ce soit d'autre. Mais il doutait que le petit tigre soit capable de se nourrirseul, voire même de survivre tout court face aux dangers.Il jura intérieurement, puis rangea son arme et sortit des fourrés. Le bébé tigrese retourna aussitôt et gronda. Nathan s'arrêta net et s'accroupit, autant quelui permettait ses blessures, tout en retirant lentement son sac à dos pour leplacer derrière lui. Le petit tigre se calma mais resta sur ses gardes, collécontre sa mère. Le jeune homme fouilla dans son sac avec précaution, évitanttout geste brusque, à la recherche d'un objet pour attirer l'animal, ou de lanourriture. Mais tandis qu'il fouillait, curieux, le tigre s'approcha tout seul enreniflant l'air. Intéressé, il avança de plus en plus près, lorgnant sur le sac.-Tu as faim, n'est-ce pas ? Je n'ai pas de viande malheureusement.Le tigre l'ignora et commença à agripper le sac de ses griffes. Il tira etNathan le laissa faire. Le félin entra la tête à l'intérieur et commença àfarfouiller. Mais il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'il n'y avaitrien. Nathan en profita pour le caresser et lui gratouiller le bas du dos, ce quilui plut. Puis, il commença à s'amuser avec la main du jeune homme. Nathanattrapa une branche et l'agita sous son nez.Nathan se releva, incapable de tenir plus longtemps cette position àcause de ses blessures. Il joua ainsi de longues minutes avec le tigre jusqu'à ceque le jour décline trop. Nathan essaya d'attirer le tigre hors du repaire, pourqu'il le suive. Car il ne voulait pas l'abandonner ici. Mais malgré ses tentatives,le bébé tigre ne voulut pas venir et retournait systématiquement auprès de samère. Cela fendit le cœur de Nathan, mais il ne pouvait rester plus longtempsici. Il se promit de revenir au petit matin.

Le SurvivantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant