Chapitre 2 : de plus près

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Les jours passèrent, et bien que Louis ait réussi à refermer l’armoire, une peur sourde continuait de le ronger. Chaque soir, alors que la nuit tombait, il se retrouvait prisonnier de sa propre chambre, son regard constamment attiré par l’armoire, cette grande masse sombre qui semblait se fondre dans l’obscurité. L’atmosphère de la maison devenait de plus en plus oppressante. Les murs semblaient se rapprocher, et chaque craquement, chaque souffle du vent à travers les fenêtres, prenait des allures de présage funeste.

Louis n’osait plus dormir. Chaque fois qu’il fermait les yeux, il voyait le visage défiguré d’Étienne, son sourire malveillant, ses yeux vides fixés sur lui. Les ombres sous ses yeux s’accentuaient, et ses parents, inquiets, tentèrent de comprendre ce qui le tourmentait. Mais comment pouvait-il expliquer l’inexplicable ? Comment leur dire qu’il était hanté par un garçon fantôme qui voulait voler sa vie ?

Une nuit, alors que l’angoisse l’empêchait de trouver le sommeil, Louis prit une décision. Il devait en savoir plus sur Étienne, comprendre ce qui le liait à cette armoire. Peut-être que s’il découvrait la vérité sur ce garçon, il pourrait mettre fin à ce cauchemar. Il se souvenait de ce que son grand-père lui avait raconté : l’histoire d’un enfant disparu, jamais retrouvé, dans cette même maison.

Louis fouilla les archives locales, des vieux journaux que son grand-père gardait précieusement. Et là, au milieu des pages jaunies par le temps, il trouva ce qu’il cherchait : un article datant de plusieurs décennies, relatant la disparition d’un jeune garçon nommé Étienne. Il vivait dans cette maison, exactement dans la même chambre que Louis. L’article mentionnait également une armoire en bois massif, celle-là même qui hantait les nuits de Louis.

L’article ne disait pas comment Étienne avait disparu, mais les rumeurs parlaient d’une armoire maudite, d’un enfant aspiré dans un autre monde. Louis frissonna en lisant ces mots, réalisant qu’il n’était peut-être pas le premier à faire face à ce genre d’horreur.

Cette nuit-là, Louis décida de se confronter à Étienne une dernière fois. Il savait qu’il jouait avec le feu, mais il n’avait pas le choix. C’était ça, ou être hanté pour le reste de sa vie. Il attendit que la maison soit plongée dans le silence, et qu’une fois encore, l’armoire se mette à grincer.

Armé d’une lampe de poche et d’une détermination qui frôlait le désespoir, il s’approcha de l’armoire. Les murmures commencèrent à résonner, plus forts cette fois, plus insistants. « Viens… Louis… viens me rejoindre… »

Les mains tremblantes, Louis tendit la main vers la poignée. Il savait que ce qu’il s’apprêtait à faire était dangereux, mais il n’avait plus d’autre choix. Avec une inspiration profonde, il ouvrit la porte.

Ce qu'il vit à l'intérieur n’était pas ce qu’il attendait. Au lieu des vêtements habituels, il y avait un gouffre noir, un abîme sans fond qui semblait aspirer toute lumière. Au centre de cet abîme, Étienne se tenait là, mais il n'était plus seulement un fantôme. Son corps semblait se matérialiser, se solidifier, comme s’il essayait de revenir dans le monde des vivants.

Étienne tendit la main vers Louis, un sourire tordu sur les lèvres. « Je t’attendais, » dit-il, sa voix résonnant comme un écho lointain. « Tu n’as plus le choix. Rejoins-moi, ou je viendrai te chercher. »

Louis sentit une force invisible l’attirer vers l’armoire, le tirant inexorablement vers le gouffre. Il lutta, planta ses pieds sur le sol, mais la force était trop puissante. Il comprit qu’il n’aurait pas la force de résister longtemps.

Alors, dans un ultime acte de courage, il se souvint de l’histoire que son grand-père lui avait racontée sur les légendes anciennes : parfois, pour sceller un esprit, il fallait un sacrifice. Quelque chose de précieux, quelque chose qui symbolisait la vie. Louis réalisa qu’il avait un petit couteau, un objet hérité de son grand-père, caché sous son oreiller.

Il se précipita vers son lit, le saisit, et retourna vers l’armoire. Tandis que l’emprise d’Étienne se renforçait, Louis utilisa le couteau pour entailler sa propre paume, laissant son sang couler sur le bois de l’armoire. Le contact du sang sembla brûler le bois, et un cri strident résonna à travers la pièce. Étienne hurla de rage et de douleur.

« Non ! Tu ne peux pas ! »

Mais c’était trop tard. Le sang de Louis, symbole de vie, força l’armoire à se refermer. Avec un dernier cri déchirant, Étienne fut aspiré dans les ténèbres, et la porte claqua avec une force surnaturelle, scellant le gouffre pour de bon.

Le silence retomba dans la chambre. Louis, épuisé, tomba à genoux, le souffle court. La pièce semblait plus lumineuse, plus légère. Il savait que l'armoire ne s’ouvrirait plus jamais, que l’esprit d’Étienne avait été banni pour toujours.

Louis passa le reste de la nuit assis contre l’armoire, veillant sur le silence retrouvé, le cœur battant encore à tout rompre. Au petit matin, il quitta la chambre et n’y revint jamais. Ses parents, inquiets mais soulagés de voir leur fils retrouver peu à peu le sourire, ne posèrent pas de questions.

Mais Louis savait qu’il ne parlerait jamais de ce qu’il avait vécu. Le passé devait rester enterré, tout comme les ténèbres dans l’armoire. Et si jamais quelqu'un d’autre devait vivre dans cette maison, il espérait que l’histoire d’Étienne resterai une légende oublié et que personne oserait ouvrir cet armoire maudit.
Les années passèrent, et Louis grandit, quittant la maison de son enfance pour s’établir ailleurs. Il fit tout pour oublier les événements terrifiants de son passé, les ensevelissant dans les recoins les plus sombres de sa mémoire. Pourtant, la cicatrice sur sa paume, vestige du rituel qui avait scellé l’armoire, le rappelait constamment à ce souvenir qu’il tentait de refouler. Mais il se persuada que tout cela appartenait désormais au passé.

Cependant, la vie n’a pas toujours le sens de l’oubli que l’on espère. Un jour, alors qu’il venait de franchir la trentaine, Louis reçut un appel inattendu. C’était sa sœur cadette, Sophie. Elle avait repris la vieille maison familiale après la mort de leurs parents, ayant toujours été fascinée par son histoire. Sophie, d’un ton léger mais avec une pointe d’inquiétude dans la voix, expliqua à Louis qu’elle avait décidé de rénover la maison.

« J’ai commencé à vider les vieilles affaires, et je suis tombée sur ton ancienne chambre, Louis », dit-elle. « Il y a cette armoire, tu te souviens ? Je pensais la vendre ou la jeter, mais il y a quelque chose de bizarre… Quand je l’ai ouverte, j’ai eu une drôle de sensation, comme si l’air devenait plus froid… Ça te dit quelque chose ? »

Le sang de Louis ne fit qu’un tour. L’armoire. Il s’était convaincu que toute cette histoire n’était qu’une hallucination, un cauchemar de son enfance, mais l’évocation de l’armoire par Sophie réveilla en lui une peur ancestrale, enfouie profondément depuis tant d’années. L’angoisse monta en lui comme une marée noire, et il comprit qu’il ne pouvait plus fuir. L’armoire, et ce qu’elle contenait, n’était jamais vraiment partie.

« Sophie, écoute-moi bien », dit-il d’une voix tremblante mais ferme. « Ne touche plus à cette armoire. Ferme-la, quitte la maison si tu dois, mais ne la laisse surtout pas ouverte. Je t’en prie. Je viens tout de suite. »

Sophie, déconcertée par l’urgence dans la voix de son frère, acquiesça, bien qu’elle ne comprenne pas la gravité de la situation. Louis attrapa ses affaires et sauta dans sa voiture, l’esprit embrouillé par des souvenirs qu’il aurait préféré oublier. Durant tout le trajet, les images de son enfance le hantaient : les doigts décharnés d’Étienne, l’obscurité sans fin dans l’armoire, et surtout ce cri, ce cri déchirant qu’il n’avait jamais pu effacer de sa mémoire.

L'enfant caché derrière l'armoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant