C'était vrai. Je ne pouvais pas lui faire confiance. L'expression que je lisais dans ses yeux passait de la fierté à la détresse, ce que je ne savais pas vraiment comment interpréter. Si je choisissais de rester, je vivrais encore au moins deux mois, j'apprendrais à faire usage de ma Magie, avant de partir au Jeu, où la mort me guettait sûrement, à moins que je ne devienne assez forte. Mais si je fuyais, je ne pourrais aller nulle part. Je ne savais pas où était situé le Centre, mais il était très loin de chez moi à en juger par la longueur du trajet qui m'avait conduite ici. Et même si j'avais su où j'étais, comment rentrer? Il était impossible que mon père possède une voiture, cela n'existait presque plus, sauf pour les militaires et les membres du gouvernement. Quand bien même je choisirais de m'enfuir du Centre, il ne leur faudrait pas bien longtemps avant de constater ma disparition, et rien ne mettait ma mère et ma sœur à l'abri. Non, je devais rester, c'était mon devoir. C'est ce à quoi je m'étais engagée en prenant la place d'Ambre pour le Jeu. Je connaissais l'enjeu, et je savais qu'ils auraient réussi à m'envoyer au Jeu de toute manière. Puis je m'étais fait une promesse : ne plus me défiler. Non, je ne fuirai pas.
« - Éris, tu vas mourir, ici.
- Au Centre? Je ne pense pas.
- Non, au Jeu bon sang! Tu crois vraiment que tu t'en sortiras? Tu n'as que quatorze ans! Éris, une fois au Jeu, tu n'auras plus qu'une porte de sortie. Tu le sais ça?
- Attendre qu'un Joueur gagne?
- La mort. »Je perdis mes mots pendant quelques secondes. J'allais donc réellement mourir? Le cadavre que j'avais vu quelques jours auparavant me revint en mémoire. La mort. Cependant, cela ne changeait rien à ma conviction.
« - Et alors? Qu'est ce que ça peut vous faire? Je suis une Magicy, ça ne devrait pas vous poser de problème, docteur Drowmell. »
Bien qu'il s'agît de mon père, je me sentais obligée de l'appeler par son nom de famille, dont j'étais fière qu'il soit différent du mien, et de le vouvoyer. Je lui parlais avec froideur, ce qui accentuait son désarroi. Comme j'étais heureuse d'enfin maîtriser quelque chose, d'enfin avoir le choix!
« - Je ne peux pas ... non Éris, tu es avant tout ma fille! Je ne peux pas te laisser là, tu vas mourir au Jeu! »
Une bouffée de colère m'envahit. Et pas seulement parce qu'il me rappelait que j'étais sa fille. J'abandonnai mon sarcasme et répondit plus énervée que jamais:
« - Attends ... tu es en train de me dire que tu pourrais laisser mourir n'importe quel Magicy mais moi tu peux pas te le permettre ? Tu serais prêt à sacrifier des milliers d'inconnus sous prétexte qu'ils sont des Magicys, mais quand c'est moi, c'est impossible ?! Tu me dégoûtes ! Après nous avoir abandonnées, maman, Ambre et moi, tu oses revenir et me parler comme un père et faire comme si rien ne s'était passé ? Pour qui tu te prends ? Sale traître!
- J'essaye de te sauver la vie!
- Je ne veux pas de ton aide. Je n'ai certainement pas besoin que tu me sauves! Si tu peux tuer n'importe quel Magicy, pourquoi je ferais exception?
- Je ne peux pas sauver tout le monde. Mais je...
- Mais oui, à d'autres! Tu pourrais peut être arrêter de travailler pour ce maudit Jeu, par exemple. Mais non! J'oubliais. Tu es bien trop fier de servir ce malade de Victor Joss!
- Je veux te sauver toi, tu es ma fille...
- Et moi je veux que tu me laisses mourir. » Lui dis-je avec un regard assassin.Je partis sans lui laisser le temps de répondre. Je l'entendais crier mon nom, et courir pour me rattraper, mais j'étais bien plus rapide que lui. Il faut croire que cet entraînement m'avait réussie. Il me semblait que mon père avait même un peu grossi. Voilà ce qui arrivait quand on travaillait pour le Jeu et le gouvernement, on avait largement de quoi satisfaire son appétit, même plus. Alors que nous, nous avions beaucoup souffert de la faim après son départ. Je le méprisais vraiment, pour qui se prenait-il, à jouer le bon samaritain? Lui qui nous avait abandonnées, il avait aussi réussi à faire perdre son métier à ma mère! Avant qu'ils ne se séparent, mes parents travaillaient tous deux dans le médical, au même endroit, et mon père était parvenu à faire licencier ma mère, je ne sais comment. Nous avions failli perdre notre maison, et j'avais du retourner chasser pour que nous ayons à manger, tandis que ma mère enseignait à ma sœur comment entretenir un potager.
Ma mère m'avait impressionnée. Elle ne s'était pas laissée abattre, et avait retrouvé du travail immédiatement. Malheureusement, elle était mal payée, et son travail était physiquement éprouvant. Son salaire lui permettait à peine de payer l'impôt écrasant dû à notre maison. Les impôts sur les appartements étaient moins élevés, mais les maisons avec jardin coûtaient très cher, et c'était notre cas. Maman refusait de revendre la maison, une des rares choses qui lui restait. C'était la maison où elle vivait avec sa mère avant qu'elle ne soit hospitalisée à cause de son alzheimer. Mamie était morte cette année là, ma mère avait presque tout perdu. Nous compensions notre pauvreté par la chasse et notre potager, nous coupions du bois pour nous chauffer, et nous raccommodions nos vêtements du mieux possible pour avoir de quoi nous habiller. C'est ainsi que nous vécûmes durant une année.
L'impôt n'était pas la seule chose à payer, il y avait aussi l'école. Ma mère se battait pour que nous ne soyons pas déscolarisées, et, au bout d'un an, elle avait fini par trouver un meilleur emploi. Elle était redevenue médecin, et travaillait à l'hôpital. Son salaire infiniment plus élevé nous a permis de rembourser presque toutes nos dettes, et de vivre correctement, malgré les pénuries.
Nous n'avions pas besoin de notre père, au final. Le revoir ici m'avait sacrément énervée, mais cela m'avait donné une idée. Je fonçai dans ma chambre, et fouillai dans mon sac à la recherche de quelque chose pour écrire.
J'écris trois lettres ce soir là, une pour ma mère, dans laquelle je la remerciais pour tout ce qu'elle avait fait pour nous, je lui disais que j'étais fière d'être sa fille, puis lui racontais tout ce que je savais sur mon père, depuis le laboratoire jusqu'à sa prétendue tentative de me faire évader. Je lui confiais aussi mes doutes, je pensais qu'il s'agissait d'un piège. Pour finir, je lui écrivais mon envie de vivre, ma détermination à sortir d'ici vivante.
La deuxième lettre s'adressait à ma sœur. Je lui écrivais que j'étais désolée qu'elle doive vivre avec la haine des Magicys, mais que je savais qu'elle était forte. Bien assez pour supporter tout ce qu'on lui dirait, et qu'elle avait quelque chose en elle de si précieux que les autres semblaient avoir perdu: un cœur. Je la suppliais de ne pas se laisser abattre, et, quoi qu'il advienne de moi, de continuer à avancer. Elle deviendrait quelqu'un de formidable, elle qui était déjà extraordinaire. Enfin, je lui promis de me battre et de rentrer à la maison vivante, une fois qu'un Joueur aurait gagné.
La dernière lettre était destinée à Hiro. Je lui racontais sans censure tout ce que vivaient les Magicys avant d'être envoyés au Jeu, je lui parlais d'Abygaïl Joss, qui était bien différente de ce que l'on pourrait croire, sans en révéler trop sur elle pour ne pas lui attirer d'ennuis au cas où ma lettre serait interceptée. Ne sachant comment finir, je lui souhaitais une bonne continuation et le priais de faire attention à lui.
VOUS LISEZ
Leur Jeu : Survivre
AcciónLa Magie. Une force surnaturelle que l'humain n'est jamais parvenu a dompter. Du moins jusqu'à maintenant. La Magie permet à ceux qui la détiennent de contrôler un des quatre éléments. C'est un don que chacun rêvrait d'acquérir. Mais pas dans le mon...