(Dé)pendu

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Quelques rares clients rentrèrent, puis ressortirent après cela. L'horloge affichait 1 h 45 : il restait un quart d'heure à Akihiko avant la fin de son service. Le quartier était peu passant, la nuit, mais même ici, le bourdonnement de la ville ne s'arrêtait presque jamais. Une femme entra à son tour, il la suivit du regard sur les écrans de surveillance. L'air que le jeune avait sur les lèvres tout à l'heure lui était resté dans la tête. D'ordinaire, Akihiko avait bien assez de soucis dans sa vie pour laisser en plus entrer ceux des autres, mais Yuki, ses cheveux cendre, sa chanson inaboutie et son trop d'alcool alors qu'il n'en avait visiblement pas l'habitude étaient venus se ficher dans son cerveau fatigué et n'en sortaient pas. Était-il déjà rentré chez lui ? Avait-il avalé ses ramens - enfin, les ramens crevettes de « son prince » ? Cuvait-il ? Il bâilla. La fatigue le gagnait, mais le gamin lui trottait dans la tête.

La femme se dirigea vers le rayon des ramens, très fréquenté, cette nuit. Bien visible à la caméra, un gros objet noir, volumineux, d'une hauteur de bien les deux-tiers de la cliente, était appuyé contre l'étagère. Akihiko s'exclama et quitta sa caisse. Le temps de gagner le rayon, la femme s'était déjà saisie de l'objet et le ramenait vers l'employé :

- Excusez-moi, quelqu'un semble avoir oublié ceci, n'est-ce pas ?

Akihiko s'inclina. Le gamin ! Il avait oublié sa guitare ! Carrément !

- Merci beaucoup, répondit-il, en la saisissant des deux mains. Un jeune client, un peu plus tôt. Je vais la lui mettre de côté.

Le neveu du patron, qui prenait la suite du service, croisa la cliente qui sortait après son achat sur le pas de la porte. Akihiko compta sa caisse et fit son nettoyage pendant qu'il se changeait. Puis il nota la guitare oubliée dans le registre des incidents où il avait déjà mentionné le passage du lycéen, sans préciser qu'il était alcoolisé.

- Je vais la stocker dans le vestiaire, indiqua-t-il à son collègue qui prenait place. Il repassera surement la chercher demain.

Dans la petite pièce, pourtant, il hésita. Son placard était déjà ouvert, sa chemise civile dans sa main, mais soudain, une intuition, quelque chose, un mauvais pressentiment l'étreignit : il reposa le vêtement et se pencha sur l'étui noir.
Il le posa sur la petite table contre le mur, fit glisser les fermetures avec une prière intérieure de pardon pour l'intrusion et repoussa le rabat. Une Gibson rouge tape-à-l'œil lui sauta aux yeux. Il sourit, sarcastique - elle s'accordait parfaitement au caractère de son propriétaire. La poche extérieure débordait de notes, partitions, cordes de rechange, et divers médiators, mais ce n'était pas tout. Sous la guitare elle-même, directement dans l'étui, il en trouva encore d'autres, dans un bazar indescriptible où les notes de musique griffonnées à la hâte se mélangeaient aux tickets de caisse et à l'impression de résultats de recherche sur internet. Il se moqua gentiment d'un sourire et s'apprêtait à refermer l'étui, quand son regard tomba sur l'une de ces feuilles imprimées. Elle comportait le dosage nécessaire et le moyen de réunir les comprimés nécessaires à un suicide par voie médicamenteuse.

Le cœur d'Akihiko sauta un battement. Il souleva la guitare, commença à effeuiller les papiers. Une mauvaise impression des résultats d'entrée d'un certain Mafuyu Sato dans l'un des plus prestigieux lycées publics de Tokyo arrêta son regard. Le Sato en question avait obtenu des résultats de surdoué, en particulier dans les matières scientifiques. Il eut un sifflement : le guitariste amateur de ramens curry était tombé amoureux d'une tête de génie. Pas facile, il était au courant.

Au milieu du bazar, il dénicha également le ruban de la cérémonie d'admission de Yuki - un lycée moins bien côté que celui de son ami, à un arrêt de métro de là. Avec un soupir, il songea que les rigueurs compétitives du système scolaire avaient de quoi faire battre de l'aile à n'importe quelle relation... surtout entre deux adolescents découvrant leurs orientations peu ordinaires, s'ils n'étaient pas particulièrement doués pour la communication.

Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant