Les gens, le plus souvent, s'arrêtaient à sa présence dans le même espace-temps qu'eux pour décider qu'il était là. C'était étrangement audacieux, car il pouvait lui arriver, à lui, premier concerné, de l'oublier. Cela dit, Mafuyu s'en souciait peu - il se souciait peu du regard des autres en général. Sauf en certaines occasions - et le regard du garçon nommé Uenoyama, qui balançait son corps au rythme du métro avec adresse, constituait l'une de ces occasions. Uenoyama ne le dévisageait pas, c'était un garçon poli et bien élevé - mais il lui glissait des regards quand il pensait que personne ne le voyait et Mafuyu trouvait le bleu froid de ses yeux singulièrement réchauffant.
À ce moment-là, Mafuyu était là et il n'était pas là et l'exprimer lui aurait couté beaucoup trop d'énergie. Il se contentait donc d'espérer que c'était évident, voire normal, malgré le nombre faramineux d'occurrences qui lui avait prouvé que ça n'était pas le cas. Il sortait de l'hôpital, absolument lucide sur le fait que Yuki avait tenté de prendre sa propre vie, peut-être un peu moins conscient de lui avoir sauté dessus en réaction, mais quand même. Le pouvoir magique du guitariste était bien présent à son esprit. Son regard bleu, pas moins.
Et en même temps, il nageait dans le brouillard. C'était trop. Trop d'informations, trop vite, toujours, tout le temps, et cette fois-ci particulièrement. Le « trop », cette fois-ci, contenait la perspective d'un monde sans Yuki. C'était une notion impossible à traiter, alors elle était allée s'enfouir quelque part dans une autre mémoire, tandis que la brume montait, rendait tout flou et cotonneux, supportable.
Peu de gens voyaient Mafuyu à travers tous ses prismes. Yuki faisait partie des exceptions. Et Yuki... ah, il traiterait ça plus tard.Certaines fractures de l'âme, profondes entailles violemment gravées à un âge trop tendre, font effet longtemps après que tout le monde autour, y compris soi-même, en a oublié les causes. La différence est invisible, insoupçonnable. Pour les autres, le monde était un usage. Mafuyu les voyait vivre en couleurs, courir avec la bande-son. Hiiragi courait, Yuki courait, Shizusumi peut-être un peu moins. Collé au décor du monde, Mafuyu, lui, était submergé par le défilement du monde.
Il discernait parfaitement les nuances - beaucoup trop de nuances, d'ailleurs - partout, le décor, les détails de comportements, des expressions, l'emplacement des issues de secours. Quand la survie se joue, immensément jeune, à devoir deviner la moindre variation émotionnelle de gens qui ont pouvoir de vie ou de mort sur vous, l'œil prend l'habitude de tout noter, tout le temps - et ne la perd que difficilement. La masse d'informations produite jouait probablement un rôle dans la sensation de « trop » dans lequel il évoluait souvent, et le brouillard qu'il laissait monter pour gérer.
Le brouillard lui permettait de ralentir le monde. Yuki savait cela. Les autres étaient surpris de son regard qui se perdait dans le vide. Ils pensaient qu'il s'absentait dans son monde, qu'ils imaginaient riches d'une imagination folle pour être si absorbants. Ils ne comprenaient pas que Mafuyu tentait simplement de mettre le temps en pause, pour se donner le temps de respirer, d'abord, puis de faire le tri dans les millions de nuances, dans l'intensité des coups assénés par le monde, que le brouillard, allié, laissait émerger une à une, au rythme où il était capable de les traiter. Pourtant, le décor n'interrompait pas sa course folle : les autres avaient donc l'impression qu'il s'arrêtait, lui. Mais pas Yuki.
Yuki connaissait Mafuyu dans la brume. Yuki savait d'où elle naissait et éprouvait une saine colère encore, des années après, pour l'origine du brouillard, plus que Mafuyu lui-même, probablement, et peut-être que pour balayer la brume Mafuyu avait besoin de la colère de Yuki. Yuki savait aussi aller chercher Mafuyu derrière le brouillard. C'était inné, chez lui. Il lui tendait la main et un sourire, et le monde devenait inoffensif. Alors Mafuyu pouvait rire, et danser, et aimer. Marcher au bord de l'eau et sentir le rythme des vagues. Faire enrager Hiiragi. Amener un sourire sur les lèvres de Shizu. Boire les lèvres de Yuki et vibrer de tout son corps sous ses doigts. Alors, son intensité explosait dans le monde, sa répartie qui pouvait être mordante et sa vivacité fusaient. Et Yuki le dévorait des yeux - comme si la vibrance de Mafuyu était ce qui le retenait dans le monde.
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Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)
Fiksi PenggemarFix-it fanfic ! Yuki vit, et tout change. La gibson rouge sert de lien ; les yeux bleus d'Uenoyama s'immiscent dans le duo, Mafuyu aime, oscille, les trois se perdent, se trouvent, s'emmêlent, en équilibre. La fic est bancale, mais sincère :...