L'air était doux, et pas seulement parce que le printemps déployait à ses yeux les dernières fleurs du cerisier planté sur le canal, à côté de sa maison d'enfance. Sa maison, voisine de celle de Yuki. Il l'avait quittée une année plus tôt : sa mère avait voulu lui épargner les trajets en métro en limitant la distance avec son nouveau lycée.
Au final, il les avait faits, les trajets, pour retrouver Yuki et les autres. Ils se rejoignaient à la station de métro la plus proche du trio. Beaucoup, au début, puis de moins en moins. La fatigue des journées passées dans l'inconnu, sans la présence des cheveux cendre pour désembrumer le monde, avait fini par avoir le dessus sur l'envie brulante de retrouver ses amis, et notamment celui qui donnait des couleurs au réel. Les neurones à plat parce qu'il fallait suivre le niveau, malgré tout, Mafuyu saturait chaque jour davantage du bruit et le mouvement des trajets. C'était précisément ce que sa mère avait voulu lui éviter. Puis les guitares dans le dos du trio qui s'éloignait de lui l'avaient paralysé. Il n'avait pas su demander à Yuki de venir jusqu'à lui, aussi, de temps en temps. Il n'avait pas su dire non plus qu'il souffrait de ne plus partager leur vie. L'espace s'était densifié, entre eux, comme un mur.
Le cerisier du canal avait toujours été tardif. Yuki disait « paresseux », mais Mafuyu savait bien, lui, qu'il ne faisait qu'aller à son rythme. Un peu décalé des autres. Cette année, Yuki jouait à mimer le cerisier — mais il n'avait visiblement pas capté la question du rythme.
Aussi Mafuyu avait-il pris le métro après les cours, subitement, presque sur un coup de tête, alors qu'il n'avait pas vu son petit ami depuis près de deux mois — et qu'il n'avait pas prévenu. En réalité, cela n'avait rien d'un coup de tête. C'était comme pour le cerisier. Il était prêt, c'était tout. Donc il bougeait, là où Yuki venait de se figer — c'était son tour. Son aimé avait besoin de lui, il venait prendre sa part. Le monde, en ce début d'année de première, était plus stable, moins agressif, et la brume, bien plus légère.
Mafuyu avait suivi à la fois de près et de loin la progression de Yuki. De loin parce qu'il n'était pas venu une seule fois le revoir à l'hôpital ou dans sa maison-relai, ni chez lui, depuis dix jours qu'il était rentré. Il n'avait pas pris de nouvelles explicitement, non plus — mais il avait envoyé régulièrement son soutien et son amour sous forme de photos de Kedama, de détails de la rue, de son lycée, des petites touches que la vie met dans le monde pour l'embellir qui le frappaient sur son passage, et des vidéos de ses progrès avec la Gibson rouge. Parfois les mains d'Uenoyama apparaissaient dans le cadre, ou sa voix rageuse, voilée de tendresse absolue. C'était sa manière de lui raconter ce qui se passait, à travers le brouillard.
Et de près, car il avait obtenu bien davantage de réponses à travers le guitariste de Given que par les textos de Yuki. Uenoyama ne trahissait pourtant pas les secrets et les luttes que Yuki ne partageait pas lui-même, mais aux yeux de Mafuyu, il était transparent. Et Uenoyama traversait une période de trouble intense.
Uenoyama venait d'admettre qu'il aimait les garçons, c'était déjà un solide changement à accepter. Mafuyu le voyait transpirer à grosses gouttes devant l'impact désormais conscient que les corps masculins produisaient sur lui au basket — et il en jouait, un peu. Il avait rejoint l'équipe. Le basket, c'était vraiment bien. Itaya et Ueki étaient des gars sympas, de bons compagnons, peut-être des débuts d'amis. De plus, Mafuyu était assez doué pour marquer : sur le terrain, il se changeait de dimension. L'espace s'étendait, lui faisait de la place : il respirait mieux et il percevait tout, ou presque. Il se faufilait, passait, réceptionnait, marquait. Mais il fallait reconnaitre que le plaisir de troubler Uenoyama d'un aperçu de ses abdominaux en sueur ou de la tension de ses fessiers quand il sautait, pesait assez lourd dans ses motivations.
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Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)
FanficFix-it fanfic ! Yuki vit, et tout change. La gibson rouge sert de lien ; les yeux bleus d'Uenoyama s'immiscent dans le duo, Mafuyu aime, oscille, les trois se perdent, se trouvent, s'emmêlent, en équilibre. La fic est bancale, mais sincère :...