Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)

Concert

L'éclat des spots de lumière de la scène, l'odeur des corps, de la sueur, des parfums, des boissons, la traversée des ondes de son : Yuki se sentait toujours un peu ivre lors d'un concert, si le son était bon. Et le son du premier groupe l'avait été, vraiment. Ils avaient joué longtemps : au moins deux ou trois chansons de plus que ce qui était prévu. Yuki devinait un drame dans les coulisses de Given, sans s'inquiéter réellement. Il connaissait Mafuyu et Ritsuka — tout irait bien. Son empathie l'emportait vers leur chaos supposé, un sourire sur les lèvres, et cela venait donner une touche intime à la musique du premier groupe en scène.

Puis le rideau retomba.

– Iels étaient bon ! commenta Hiiragi, un verre de jus de fruits à la main, juste à côté de lui.
– Ouais. Ils ont assuré longtemps, en plus, ajouta Shizusumi.
– Problème en coulisse ? demanda Hiiragi, en coulant un œil à Yuki. Celui-ci posa amicalement son poing sur son épaule.
– Aux dernières nouvelles, tout à l'heure, Mafuyu n'avait toujours pas écrit les paroles.
– QUOI !???

Yuki rit.

– Respire ! C'est Mafuyu, qu'est-ce que tu crois ? Il doit les avoir en tête, presque. Ou alors il va les créer sur scène.
– Les créer sur...

Hiiragi écarquilla les yeux et pâlit visiblement à l'idée.

– Ou bien, il ne chantera pas, conclut Yuki avec un sourire. Given, c'est de l'instru, à la base. Ils s'en sortiront.

Il s'y attendait, donc, mais la voix de Mafuyu, sur scène, à pleine puissance, le traversa quand même comme une onde de choc, lui vola son souffle et suspendit son temps. Il avait anticipé aussi, peut-être, le fait que les paroles lui soient adressées, mais « quels mots devrais-je employer pour décrire un monde sans toi ? » lui déchira les tripes, « et l'on dénoue la corde, mais tout change et le sol n'est plus stable » le cloua sur place, « si tu l'aimes, et je l'aime, est-ce que nous, dis, que devient "nous" ? Est-ce qu'il se perd, se noie ? Est-ce qu'il s'augmente ? » le fit frissonner de la tête aux pieds. Puis le refrain arriva, et les notes le clouèrent au sol. C'était les mêmes six notes qu'il avait volées aux lèvres Mafuyu pour les mettre dans sa propre composition. Ritsuka en était tombé amoureux de la même manière, en avait fait un air, qu'il avait offert au garçon qu'ils aimaient tous les deux. Et sur ces deux quintes, Mafuyu faisait vibrer ses mots, de cette voix hors du monde : « Si le sol n'est pas stable, si le chemin se crée à chaque pas, dans le sable, je veux les miens à côté des tiens ».

Hiiragi pleurait des rivières sans s'en rendre compte. Shizusumi lui-même s'autorisait à fixer leur ami d'enfance bouche bée, les yeux ouverts grands comme des soucoupes. Sur scène, Haruki et Aki avaient écarquillé les yeux aussi, et Ritsuka avait failli tomber à la renverse quand la voix de Mafuyu avait jailli, mais ils s'étaient repris. Le sourire de Ritsuka, à présent, illuminait la scène au moins autant que les spots. Il était sauvage, ravageur, complètement en symbiose avec son chanteur, et il kiffait.

Depuis le parterre, Yuki souriait à travers ses larmes en les regardant : de joie de voir leurs ailes se déployer, et de l'envie de les rejoindre qui naissait dans ses reins. L'envie signifiait vivre. Avancer. Chanter, lui aussi, un jour, à nouveau. Et dans un univers, quelque part, chanter avec ces deux-là, aussi, parfois. Il avait survécu à la corde, récupéré, largement. Il avait appris à prendre un thé avec les journées sombres, appris à mieux appeler à l'aide, avant qu'il ne soit trop tard. S'était fait un nouvel ami, peut-être un nouvel amour et avait consolidé celui qu'il avait déjà. Mais la pulsion de la vie, il ne l'avait pas sentie le prendre d'assaut ainsi depuis longtemps, très longtemps. Devant l'océan, ou quand sa peau embrassait celle de Mafuyu, elle l'effleurait. Dans la pénombre de la salle de concert, les sens saturés de sensations, elle lui tombait dessus comme un raz-de-marée.