Gibson

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Le monde, généralement, se contentait de son air buté et peu amène pour réfréner l'élan naturellement provoqué par ses yeux bleus. Avec sa silhouette mince, son visage aux traits fins et sa frange qui lui tombait sur les yeux, Uenoyama Ritsuka avait entendu « Ikemen » le désigner plus souvent qu'à son tour. Il devait à sa mère sa beauté sombre et classique, et si le terme l'ennuyait, le fait lui plaisait.
Yayoi, sa sœur ainée, en avait hérité elle aussi : au point que sa beauté échappait au kawaii, ce qui, paradoxalement, ne la servait pas toujours. N'eût été la différence d'âge, le frère et la sœur auraient pu passer pour des jumeaux : même visage, même délicatesse apparente, mais intérieure aussi, dissimulée derrière la solide barrière d'un caractère fort qui ne mâchait pas ses mots. Yayoi, en parallèle à ses études universitaires, avait déjà entamé une carrière de mannequin.

« Ikemen » résonnait particulièrement quand on l'avait entendu, sa Fender à la main. Le terme courait sur les lèvres des élèves dans les couloirs, plus ou moins discrètement, sur son passage. Du moins, au début de l'année. C'était la même histoire depuis le collège, il avait l'habitude. Les mois s'écoulant, les questions auxquelles il ne répondait pas, les grognements peu sociables dont il se servait pour repousser les autres, les épaules qu'il voutait par flemme de se redresser et sa passion bien plus développée pour n'importe quel moment de sommeil volé à sa fatigue que pour le flirt avec les filles, finissaient par faire taire les rumeurs.

Ne demeurait alors qu'un très petit nombre d'ami·es pour le chambrer avec ce mot quand, dans un instant d'oubli de soi, il rejetait sa tête en arrière et se passait la main dans les cheveux. Au lycée, iels étaient trois : Itaya et Ueki, avec qui il faisait du basket, et de manière un peu inhabituelle, il incluait dans ses amitiés Kasai, la déléguée de la classe, bien qu'iels aient moins de contacts. Haruki-san et Kaji-san l'utilisaient aussi, mi-blasés, mi-amusés, quand iels observaient l'effet des yeux bleus sur le patron d'une salle - effet, qui, généralement, les arrangeait bien.
Ritsuka balayait les rumeurs admiratives d'un haussement d'épaules et se formalisait peu de l'usage amical. Ce qu'il gardait pour lui, cependant, c'est que si ses ainés musiciens l'agaçaient un chouia avec leur « ikemen » à demi moqueur, s'il ne doutait à aucun instant de la franche camaraderie du mot lorsqu'il franchissait les lèvres de Kasai-san, et que cela ne l'affectait guère, en revanche, lorsqu'il l'entendait d'Itaya ou d'Ueki l'utiliser, un léger frisson lui parcourait le bas-ventre. La sensation était étrange, perturbante. Il la chassait vite, la noyait dans la sueur d'une partie de basket ou la fuyait dans une sieste, et n'y pensait plus.

Ces derniers temps, cependant, le basket n'aidait pas forcément. Quelque chose, dans l'odeur de la sueur, les biceps saillants des lanceurs qu'il n'aurait pas dû remarquer à ce point, ou les abdominaux qui se dévoilaient quand un joueur ou l'autre s'essuyait le visage, réveillait le frisson sourd dans le bas-ventre du guitariste. Lui-même, quand il faisait le geste, était un peu trop conscient de son corps. Aussi avait-il tendance à préférer la sieste. Entre les petits boulots qu'il accumulait pour payer sa vie de musicien et ses horaires naturels de noctambule, il avait largement assez de sommeil en retard pour justifier ses échappatoires.

Le monde se contentait donc de son air buté pour le laisser en paix, mais pas Yoshida Yuki, lycéen en seconde au lycée du quartier de la supérette dans laquelle il bossait, guitariste et miraculeusement échappé au statut de suicidé grâce à l'intuition de son senpaï. Ritsuka grinçait des dents en se demandant par quelle malédiction il se retrouvait là, dans cette chambre d'hôpital d'un parfait inconnu où il n'avait strictement rien à faire, à encaisser les ravages causés par la gouaille explosive de l'alité.

On n'était pas censé être aussi flamboyant, moqueur, charmeur et sûr de soi trois jours après une tentative de suicide, lui indiquait sa conférence intérieure. Surtout avec une voix aussi cassée, des phrases qui s'interrompaient brutalement dans une toux suffocante et le laissaient visiblement essoufflé.

Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant