Musique

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Rentré chez lui, quand le brouillard se leva un peu, Mafuyu parvint à accepter le son de la voix cassée de Yuki, la violence de l'hématome sur son cou. Au prix d'un effort considérable, il fit quelques recherches, échangea avec Hiiragi et Shizusumi par texto. Il en conclut que Yuki devait avoir la trachée assez sévèrement traumatisée, le larynx également. Il en aurait pour des mois de rééducation. C'était choquant. Et sa guitare, dans ses mains, n'était pas moins choquante.

Sur une impulsion, il ressortit alors que l'heure du diner approchait et se rendit jusque chez Saeko, la guitare sur le dos. La mère de Yuki le fit entrer, l'invita à partager le repas avec elle. Ils parlèrent un peu, à demi-mot. Saeko avait les yeux très brillants, mais le geste de son fils, cette guitare qu'il avait tendue à son petit ami, lui donnait espoir. Elle l'encouragea.

Ensemble, ils ouvrirent l'étui - Mafuyu eut un hoquet silencieux. Yuki n'avait même pas vidé sa guitare du fatras de ses papiers avant de la lui confier, comme s'il désirait qu'en les triant Mafuyu comprenne mieux ce qu'il avait traversé. Si cela avait été le but, il était atteint. Les mains de Mafuyu tremblèrent beaucoup tandis qu'il classait et archivait avec Saeko tout ce que Yuki avait transporté en silence, derrière son sourire éclatant. Les plans de métro avec les points d'où sauter pour que la mort soit certaine, les horaires de réunion des militants de l'université... ses propres résultats d'admission au lycée.

Il revit Yuki s'éloignant de lui dans la nuit, encadré par Hiiragi et Shizusumi, avec un geste d'au revoir et un sourire presque cruel d'insouciance pour sa solitude, comme s'il y était insensible... et tout cela, sur son dos, littéralement, en permanence. Comprendre, étrangement, alourdissait Mafuyu plus que jamais. Il ne savait qu'en faire, ni que faire. Il regarda Saeko essuyer une larme et étouffer un sanglot avec ce détachement douloureux qui l'empêchait de faire la même chose. Puis il prit la guitare dans ses mains, pinça les cordes par curiosité - le son était affreux. Saeko-san dut aller chercher des mouchoirs, mais elle souriait en même temps.

- Une guitare, ça s'accorde, tu sais ? dit-elle gentiment.
- Vraiment ?

Il rentra chez lui, la guitare sur le dos.

Le lendemain, le poids sur sa gorge ne se levait pas. À défaut de savoir que dire, il fit. Il mit la guitare sur son dos, et partit avec au lycée. Encore un mois en seconde, et les vacances arriveraient. Puis ils passeraient en première - tous.

Dans les couloirs, il attira l'attention d'Uenoyama. Le garçon de la seconde d'à côté le repéra au moment où lui-même entrait dans sa classe. Il eut un geste de salut auquel Mafuyu ne sut pas répondre, fit une grimace énervée devant son silence, et disparut à l'intérieur de sa salle.

À midi, Mafuyu chercha un coin tranquille. Il en connaissait un à l'arrière du gymnase, il l'avait utilisé pas mal en début d'année quand il se sentait très seul, puis moins, avec le temps. Il s'y rendit, sortit la guitare, l'enlaça - comme s'il pouvait réconforter Yuki à travers, lui dire tout ce qui ne sortait pas. Il s'endormit. Il fut réveillé par une main rude et douce à la fois sur sa tête, un regard bleu qu'il n'attendait pas, une grimace - encore. Il sourit.

- Uenoyama-kun.

Mafuyu regarda Uenoyama fondre, le froncement de sourcils suspendu par la rougeur qui montait à ses joues, et se demanda ce que Yuki pensait des relations à trois. Ce n'était certainement pas le bon moment.

- Uenoyama-kun, apprends-moi à jouer !

L'autre soupira lourdement, s'assit, et entreprit de refuser une nouvelle fois en expliquant qu'il n'était pas compétent. C'était un peu drôle, malgré tout, tant l'évidence que c'était faux était assourdisante. Mafuyu sourit à nouveau. Uenoyama baissa la tête. Ah ! Il aimait l'impact qu'il produisait sur lui. Le monde semblait plus abordable, sa gorge un peu moins nouée.

Il le suivit, le soir, jusqu'à son studio, l'amadouant de sourires quand l'autre semblait sur le point de s'énerver. Se présenta à ses senpaï, charma Haruki-san en moins de deux minutes et intéressa Kaji-san en n'ayant pas peur de ses piercings. Yuki en portait trois, Hiiragi, deux et sans aucun, Shizusumi n'était pas moins imposant. Mafuyu avait l'habitude de voir les cœurs sensibles se cacher derrière des apparences de brutes.

Il demanda à les écouter, les défia un peu. Dans l'espace confiné du studio, le monde était stable ; la réalité trop récente de l'hôpital, du coup marqué en violet de Yuki, s'éloignait. Il pénétrait - enfin ! - le monde de son petit ami, sa guitare sur le dos. Le frisson dans son dos était fait d'excitation et d'une joie insoupçonnée. Il se sentait léger, comme si un poids de huit mois s'envolait lentement dans l'atmosphère calfeutrée des murs insonorisés, sous l'éclat des lampes du sous-sol.

Quand Mafuyu était détendu, il pouvait facilement être joueur, voire espiègle. Yuki disait « gay malicieux », Hiiragi « gamin insupportable ». Le cinéma des deux ainés, leurs taquineries pour Uenoyama, qui perdait ici le statut de « garçon cool » qu'il avait au lycée pour devenir le benjamin, le fit rire. Le guitariste déglutit visiblement en entendant ce son. Mafuyu lui adressa un regard enjôleur. Uenoyama ferma les yeux, et Mafuyu rit encore, parce que flirter avec lui était drôle, en plus d'être tentant. Haruki et Kaji échangeaient un regard à moitié surpris, à moitié moqueur, levant chacun un sourcil. Mais tout léger qu'il se sentît en cet instant, sa demande était sérieuse, son attention sincère. Mafuyu voulait savoir... cette sensation qu'il avait ressentie, la veille, à l'hôpital, quand le guitariste avait joué ces notes : était-elle réelle ? Ou était-ce un rêve ?

- Tu veux quoi, comme guitare ? demanda Uenoyama.

Passée la surprise de la demande, Mafuyu demanda, ses grands yeux écarquillés plongés dans les bleus :

- Quelque chose de... cool !

Uenoyama eut un sourire carnassier.

- Plus vague, tu meurs, nargua-t-il, avant de pincer les cordes et de se lancer dans un rock alternatif électrisant.

Le cœur de Mafuyu en sauta en battement : dans son élément, Uenoyama lui mettait quelques nouveaux papillons au ventre. Puis la basse et la batterie le rejoignirent et les pupilles de celui qui s'était invité s'agrandirent.

La réponse du mariage de la mélodie et du rythme à sa question le clouait sur place. À ses oreilles, qui n'avaient jamais possédé le moindre lecteur de MP3 ou abonnement de streaming, la musique faisait exploser une pulsion de vie qui naissait au creux de son ventre, l'enveloppait en entier, déchirait le brouillard, ancrait son âme au monde. Il ne savait toujours pas que dire, mais trois choses au moins étaient claires.

1 - Ce n'était pas simplement qu'il « voulait » apprendre à jouer, c'était qu'il en avait besoin.
2 - Uenoyama avait une classe sans pareille. Si le guitariste refusait vraiment de lui enseigner, il n'avait pas d'autre choix, effectivement, que de rejoindre le club de musique. Pendant des mois, il avait pu éviter l'évidence en fuyant Yuki, sa musique et la moindre performance de Syh, mais elle le rattrapait. Il n'avait pas le choix. Et il reviendrait quand il pourrait prétendre jouer avec le beau guitariste aux yeux bleus.
3 - Il voulait voir Yuki, au point que cela le brulait. Et ses pieds semblaient, pour l'instant, incapables de le porter vers lui.

Le lendemain, à la pause de mi-journée, il se rendit au club de musique.

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Notes de fin de chapitre

Ecrire Mafuyu sans le trauma de la mort de Yuki, c'est comme faire l'archéologie de son caractère avec moins de PTSD. J'aime aller chercher ses piques, ses flirts, sa légèreté, son assurance étrange. En fait, c'est ultra thérapeutique - et si je faisais l'archéologie de moi-même sans le PTSD ? Je peux, maintenant : je sais faire, un peu. Ecrire, ça fait tellement de bien...


Sur le sable, six empreintes (Given, fanfic)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant