j'aurais aimé

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J'aurais aimé me souvenir de toutes ces choses d'hier, comme on garde un éclat de lumière au creux de nos souvenirs éphémères. Chaque bulle de souvenir semble s'être enfuie, porté par le vent des années, et pourtant, en moi, ces bulles dansent encore, elles résistent, comme une vague qui se retire et laisse sur le sable l'empreinte du passé.

Je me souviens de la poignée qui se fermait avec la douceur de ta main, l'escalier qui vibrait sous nos pieds impatients de gamins, la porte blanche qui claquait à cause du vent. Tout cela résonne encore. Cette maison était vivante comme un corps. Elle respirait au rythme de nos pas. Les murs frémissaient au moindre souffle, écho discret des années qui s'y déposaient. Je me souviens de ce silence après une matinée de ménage, la lumière dansante du soleil matinal qui caressait les meubles, tout cela semblait être un baume posé sur l'âme.

Et puis il y avait le jardin. L'herbe, de sa verdeur presque irréelle, s'étalait sous mes pieds nus. C'était une caresse, un murmure de la terre. La brise du matin, fraîche et légère, venait troubler la quiétude de notre toit, glissant par les fenêtres que l'on ouvrait au lever du jour, comme si l'air neuf portait en lui la promesse d'un renouveau quotidien. Les chats, eux, dans leur indifférence majestueuse, miaulaient, appelant un peu d'attention, un peu d'amour, mêlant des miaulements à celle de la pluie qui frappait nos vitres.

Je me souviens de ces bribes de souvenirs. Chaque chose, chaque instant, portait en lui un poids, un sens, que je ne savais alors comprendre. Les jours se succédaient sans que l'on s'en inquiète, et pourtant, chaque soir venait comme une fin, comme un adieu que l'on ne savait pas encore prononcer. Les saisons passaient, et avec elles le cortège de nos joies enfantines, naïves et pures, comme ces rayons de soleil qui traversaient les rideaux, dansant avec la poussière en suspens, et le ballet silencieux de ma mère que j'observais, fascinée par sa simplicité.

Assise dans l'herbe, enveloppés de la tiédeur du jour mourant, nous observions les étoiles qui naissaient une à une, semées dans le velours du ciel. Le murmure du vent dans les arbres berçait nos rêveries, tandis que la lumière de la maison, lointaine, nous appelait doucement, comme une mère qui attendrait le retour de ses enfants partis trop loin. Tout était plus simple, plus pur, comme si chaque chose trouvait naturellement sa place dans l'ordre secret du monde. La vie coulait, sans heurts, et nous la suivions, sans crainte, sans hâte, car l'avenir semblait alors un pays si lointain que nous ne pouvions l'atteindre. Il n'y avait que l'instant, celui qui nous enveloppait, celui qui faisait de nous des rois d'un royaume invisible.

L'hiver, lui aussi, apportait son cortège de souvenirs différents, plus intimes, plus secrets. La neige, que je regardais les larmes aux yeux par la fenêtre, venait poser sur la route son voile de pureté. Les matins, la campagne se drapait de blanc, et nous, émerveillés, contemplions ce paysage devenu féérique. Tout était fait pour retenir le temps, pour prolonger ces instants volés à l'enfance. Les chats, encore eux, roulés en boule près du canapé, semblaient partager avec nous cette douceur inégalée des journées de neige, où le monde entier s'apaisait.

Quelque chose m'échappe. Quelque chose qui appartient désormais à l'éther du souvenir, mais qui continue de vibrer en moi, comme une note que l'on croit avoir oubliée, et qui revient, douce et persistante, au creux du silence. C'était le temps où l'on vivait sans savoir que l'on vivait, où l'on aimait sans savoir que l'on aimait. Dans chaque pas que j'ai laissé derrière moi, il y a une trace, légère mais indélébile, de ces jours où l'enfance, comme une brise d'été, me portait sans que je le sache.

La mélodie du cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant