Je crois que le plus difficile dans la perte d'un être cher n'est pas seulement son absence, mais aussi cette révélation cruelle qui fait de nous des êtres impitoyablement égoïstes. Oui, égoïstes, dans cette douleur qui n'appartient qu'à nous, dans cette angoisse interminable du vide qu'on ne sait guère comment combler. On ne pense qu'à ça. Et on s'interroge. Comment vais-je faire pour continuer à avancer dans cet horrible monde qui semble s'effondrer sous mes pieds ? Jamais, ô jamais, nous ne pensons à l'autre. L'âme qu'on pleure a-t-elle trouvé repos ? Était-elle en paix dans ses derniers instants avant de rejoindre la frontière des âmes éternelles ? Ces questions-là, en général, on les repousse dans un coin sombre de notre conscience, parce qu'on est égoïste, parce qu'on est trop absorbé par notre propre désespoir. Et puis, et puis il y a la peur. Irrationnelle. Elle vous ronge. Elle vous étrangle dans des nuits blanches. La peur que son visage, qui autrefois nous paraissait familier, se floute et s'efface peu à peu. Peur qu'il devienne un simple contour imprécis, comme un spectre qui glisse dans les limbes de la mémoire. Peur d'oublier sa voix et ce timbre qui résonnait comme une mélodie que nous étions seuls à comprendre, et pourtant si nombreux. Peur que tout ne devienne qu'un souvenir. Un souvenir enfermé dans une photo. Figé dans le temps. Détaché du présent, de la réalité. Alors, pour ne pas oublier, on s'accroche désespérément à sa disparition, comme à la dernière bouée de sauvetage qui nous lie encore à lui. Sa mort devient quelque chose de vivant. Une ironie presque cruelle. On se persuade qu'en revisitant sans cesse cette douleur, en la retournant comme on retourne une plaie, on retrouvera un fragment de l'être aimé. Mais tout ce que nous trouvons, ce ne sont que des éclats de mémoire, éparpillés dans des objets, des chansons, des odeurs, ou dans la forme d'un nuage, un rayon de soleil qui glisse sur le sol, une couleur qui nous renvoie à lui, comme un reflet d'un autre temps. La mort d'un autre nous ramène à la nôtre. Un rappel incessant que nous ne sommes pas des être éternels. Car au fond, ce que nous craignons vraiment, ce n'est pas l'absence de l'autre, mais cette vérité brutale : nous sommes seuls. Et dans cette solitude, nous devenons des ombres, des fantômes de nous-mêmes, hantés par ce que nous avons perdu, incapables d'avancer. Comme enchaînés à des souvenirs qui s'effritent sous nos doigts, comme lorsqu'on empoigne du sable blanc. Et puis, il y a ton visage...
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La mélodie du cœur
PoetryDans les méandres d'une quête poétique, j'ai senti l'ardent désir de me fondre dans le cœur brisé de mes semblables, dans l'intimité de leurs pensées. Mais je n'ai jamais trouvé ce recueil, c'était une quête sans fin. Puis, j'ai un jour réalisé que...