Gris tempête (tome 2)

6 - Un visage connu...

Après avoir passé une soirée, et même un début de nuit, à discuter avec mon amie Elya, je passe la journée suivante à la Faculté de biologie. J'aime les cours que j'y suis, mais c'est assez difficile de me concentrer, à l'idée de retourner à l'Académie Elémentaire dans l'après-midi. Et peut-être également croiser de nouveau le chemin d'Aron ?

Je vais y rencontrer un nouveau professeur, apprendre de nouvelles choses sûrement encore plus étranges et incroyable que la veille. J'appréhendais vraiment, mais ce n'est pas si mal, finalement.

Arrivée un peu trop tôt par rapport à l'heure du rendez-vous, je m'assois sur un des bancs vides de la grande cour gravillonnée de l'Académie, un peu en retrait. Il y a quelques étudiants, surtout des plus âgés, qui doivent faire partie des Apprentis, et notamment un groupe qui parait bien s'amuser autour d'une table.

En attendant l'heure de mon cours, n'osant pas m'approcher des autres mages, je ferme les yeux et entreprends de refaire l'exercice que Maître Océana m'a montré la veille.

Je fais le vide en moi, et cela me prends seulement un instant pour répandre l'hologramme mental de ma magie qui me permet de capter les reliefs et l'eau autour de moi. Dans la petite bouteille de mon sac, posé sur le banc à côté de moi, mais également dans plusieurs autres besaces qui trainent non loin du groupe de jeunes étudiants. Le temps est encore très doux, cela ne m'étonne pas.

Je ne trouve pas d'autre eau dans les alentours proches, et décide d'essayer d'étendre davantage mon balayage géomagique. Les fils à l'aspect holographique atteignent le bâtiment qui se trouve derrière moi, à quelques mètres, qui doit être le réfectoire. Le mur est traversé comme rien par l'hologramme qui le rend transparent, et ma magie capte facilement une bonne source d'eau qui doit être un distributeur de boissons, ainsi que des tuyaux dans les cloisons.

L'étape suivante aurait consisté à activer ma magie pour manipuler l'eau que je capte, mais je ne sais pas encore comment m'y prendre, et je ne voudrais pas faire de bêtise, donc j'en reste là.

Mais pourquoi ne pas essayer d'étendre encore davantage mon hologramme ? Je ne suis pas sûre de pouvoir le faire sans utiliser trop d'énergie, mais je suis curieuse de savoir jusqu'où je peux aller.

Je n'en ai cependant pas le temps, car une voix toute proche me fait soudain sursauter et ouvrir les yeux :

― Dis-donc ! Tu dors ?

Je cligne plusieurs fois des paupières, le temps de revenir à la réalité, pour me rendre compte qu'un grand garçon se tient debout devant moi. Je dois lever la tête pour croiser son regard et je remarque sa chevelure teinte en rouge éclatant.

Le sourire que j'allais lui faire s'efface avant même d'avoir été esquissé. J'ai déjà vu ce garçon à la petite tête ronde sur un long cou, et le souvenir n'est vraiment pas glorieux ! L'altercation dans les bois, quelques semaines plus tôt, a failli se terminer en catastrophe... Les coups de coudes que se donnent ses copains autour de lui en rigolant bêtement ne présagent rien de bien sympathique, encore une fois.

― Alors comme ça, tu débarques à l'Académie, Barbie ? Il était temps ! J'imagine que ça doit faire bizarre, hein ? Tu sais où se trouve le bâtiment pour les petits nouveaux ? T'as pas emmené ton gros toutou avec toi ?

Visiblement, il se souvient également de moi et d'Elya qui avait sa forme de louve lors de notre rencontre...

Je réprime un soupire d'agacement alors qu'il rigole grassement, accompagné de ceux qui l'entourent. Est-ce que j'ai un aimant à imbéciles sur moi, pour les attirer de la sorte ? Logan me suffit, merci bien. Le garçon qui a provoqué ma noyade, ainsi que ma première transformation en sirène, a déjà le rôle du gars bête et méchant dans mon histoire, est-ce que c'est trop demander que d'en n'avoir qu'un dans les alentours ?

Sans surprise, je sens de nouveau ce goût amer monter dans ma gorge, alors que mon rythme cardiaque s'accélère, comme les fois précédentes où je commençais à m'énerver. Je prends une grande inspiration pour essayer de me calmer, sentant ma putenza pulser fortement en moi, au rythme des battements de mon cœur.

Je suis encore assez maîtresse de moi pour me souvenir que l'utilisation de la magie est interdite ici, je suis donc surprise de voir une flamme apparaître dans le creux de la main du gars aux cheveux rouge qui, d'après mon souvenir, s'appelle Erwan.

― Ça fait quoi... deux jours, que tu as découvert la magie ? Est-ce que tu sais au moins comment ça marche ?

Je m'étonne qu'il soit au courant et lève un sourcil interrogateur, tout en pinçant mes lèvres pour éviter d'avoir une réplique mordante, ce qui le fait ajouter :

― Les informations vont vite, ici, tu sais ? Depuis hier, le bruit de l'arrivée d'un demi-mage s'est répandu plus vite qu'une trainée de poudre qui prend feu ! Et surtout le fait qu'elle a l'âge de passer son diplôme, sans rien maîtriser du tout !

Tandis qu'il fait grandir et danser la flamme devant mes yeux, sûrement pour m'impressionner, je note le dégoût avec lequel il a prononcé l'expression "demi-mage". Ça ne m'étonne même plus, et ça ne m'aurait pas touchée, quelques mois plus tôt. Avant d'être traitée de sang-mêlé par les sirènes, et de demi-mage ici, j'en ai vu d'autres pendant mon adolescence, de la part de mes camarades de classe. Seulement, aujourd'hui, la magie s'en mêle et j'ai du mal à rester stoïque.

S'il se permet une petite entorse au règlement, peut-être que je peux me le permettre aussi, non ? Juste un tout petit peu ? Elya n'est pas là pour me protéger, mais j'ai un atout en plus, pourquoi ne pas en profiter ? Je ne suis pas sûre du fonctionnement de ma magie, mais je la sens toute prête à se servir de l'eau qui se trouve dans mon sac pour donner une bonne leçon à cet imbécile...

― Alors ? s'impatiente-t-il en me voyant sans réaction. T'es muette ? C'est quoi ton Elément ? T'as l'air tellement faible, que ça ne peut pas être le feu, n'est-ce pas, les gars ?

Une fois encore, les rires gras accompagnent son insulte. Je note dans un petit coin de ma tête qu'il fait une différence de « force » dans les Eléments ; il faudra que je pose la question à une personne plus sensée. En attendant, je me raidis et décide de passer à l'acte : il me suffit d'ouvrir ma bouteille d'eau et...

― Erwan ! On t'a assez entendu ! crie soudain quelqu'un derrière moi.

Je sursaute violemment tellement je suis tendue, et la bouteille d'eau fait un bond dans mon sac que je m'apprêtais à ouvrir.

― Range-moi ce briquet si tu ne veux pas avoir de problème !

Erwan fait une grimace en regardant par-dessus ma tête, et sa flamme disparait. Il hésite à dire quelque chose, mais il est coupé par la voix féminine qui s'est rapprochée entre temps :

― Oust ! Allez voir ailleurs ! ajoute-t-elle sur un ton autoritaire.

Le groupe s'ébranle en grognant puis s'éparpille. Tandis que je les regarde s'éloigner, toujours figée sur mon banc, une fille qui semble avoir mon âge apparaît devant moi. Elle s'y plante, les mains sur les hanches, et m'observe quelques secondes avec un grand sourire, pendant que je me calme légèrement.

― Vu ta tête, je crois que je suis intervenue à temps, finit-elle par dire en souriant. Tu allais lui faire quoi ? L'éclabousser ?

Alors que je me rends compte que j'ai failli faire une bêtise, elle continue en me faisant signe de la suivre :

― Allez, viens, Maître Fuera t'attend dans sa classe et m'a demandé d'aller te chercher.

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Ouf ! vous auriez peut-être voulu que l'affrontement ait lieu ?

Ne vous inquiétez pas, on y aura droit à un moment ou l'autre, forcément, il ne peut pas en être autrement !

Vous vous souveniez d'Erwan ? Il fallait bien qu'on le retrouve ici, n'est-ce pas ?