3 - Suivez le guide

326 35 25
                                    

Aron se trouve tout au bout du couloir, de l'autre côté par rapport à la réception. Les mains dans les poches de son jeans noir délavé, il tourne la tête dans ma direction lorsqu'il m'entend refermer la porte derrière moi.

J'ai beau ne rien avoir ressenti de particulièrement déplaisant lors de notre dernière entrevue, j'appréhende d'éprouver de nouveau les sensations provoquées par la pleine lune, il y a deux jours. De loin, je ne peux m'empêcher de remarquer encore que sa tignasse brune sans doute habilement ébouriffée, sa courte barbe bien taillée, et le corps svelte et musclé que l'on devine sous son sweat bien ajusté, sont tout à fait charmants.

Pour les sirènes, la pleine lune est source de troubles au niveau de la maitrise de la communication, essentiellement mentale sous l'eau, mais également des sens instinctifs et hormonaux menant à... une nuit un peu agitée... et la formation de leurs couples...

Au début, je pensais ne pas être tellement touchée par ses effets, par rapports aux autres sirènes, puisque je suis une sang-mêlé avec une mère humaine, mais force a été de constater que j'avais tort. Et Aron a eu une place toute particulière dans ce constat, à mon plus grand désarroi.

Prenant sur moi, je fais abstraction de ces souvenirs qui réchauffent mes joues et font battre mon cœur plus vite, et je me concentre sur ce qui m'entoure. Je le fais également pour éviter de penser au regard que je sens posé sur moi à l'instant-même.

L'immense couloir que je suis en train de traverser pour rejoindre mon guide a tout à fait l'air de faire partie d'un établissement scolaire banal. Des murs blancs, quelques cadres montrant des paysages classiques, une étagère pleine de livres dont les titres, rapidement lus au passage, n'ont rien d'étrange dans un tel lieu.

Lorsque j'arrive enfin à la hauteur d'Aron, il me salue rapidement en se décollant du mur d'un geste souple, et je suis vite soulagée. Je n'ai pas du tout envie de le toucher, ou de m'approcher de lui plus que nécessaire, ni de me perdre dans ses iris argentées, ni... hum... bref ! Son sourire reste craquant et son regard gris clair captivant mais, sans la pleine lune, c'est juste plaisant, et pas insupportable. Absolument rien de comparable à la veille ! Je remarque de nouveau cette petite cicatrice au niveau du sourcil, et le haut de son nez légèrement déformé, déjà vus la dernière fois, qui lui donne encore plus de charme.

Il ouvre la porte à côté de lui pour sortir tout en me demandant d'un ton enjoué :

― Alors, prête à découvrir le vrai visage de cet établissement ?

J'acquiesce silencieusement et le suis à l'air libre pour arriver dans une spacieuse cour de gravillons, avec un grand îlot de pelouse au centre, ainsi que quelques buissons, tables et bancs.

Les cours sont terminés à cette heure, et quelques adolescents profitent du temps doux de cette fin d'après-midi. Assis à même la pelouse, sur les bancs, ou se baladant, ils ont l'air tout à fait... humains. Normaux. Pas de trace de magie ici non plus.

Nous marchons à côté d'un groupe de filles d'une quinzaine d'années qui s'agitent à notre passage.

― Salut les filles ! lance Aron chaleureusement.

Ce qui provoque des rougissements, des gloussements, et des chuchotements hystériques : « Il m'a regardée moi ! » « Non, c'était moi ! » « Il est trop canon ! » « Aron chéri ! » et j'en passe. Je croise même quelques regards noirs accompagnés de « C'est qui celle-là ? »

Sans m'arrêter, je cligne plusieurs fois des yeux devant ce spectacle qui me paraît ridicule, remarquant que mon guide n'en est pas du tout ému, et concluant qu'il y est sûrement habitué. Ne les a-t-il pas saluées en premiers ? On dirait bien que ça lui plait, en plus.

Gris tempête (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant