Chapitre 1 : Welcome Home

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La voiture rebondit sur les routes défoncées du Texas. Par la vitre, je regarde les plaines verdoyantes, les forêts, les hautes montagnes et les rivières près desquels j'ai grandi.

J'ai débarquée sur le sol américain il y a quatres heures à peine, à l'Aéroport d'Austin, à vingt-neuf miles de Wimberley, la ville ou j'ai vécu jusqu'à mes sept ans, dans la région du "Central Texas". C'est une petite bourgeade située à une heure de route de San Antonio, à la jonction de la rivière Blanco et de la Cypress Creek.

A mes côtés, mon père, le shérif Luc McGarreth, dodeline de la tête sur "I'd Rather Go Blind " de Etta James, une musique de Blues de mon enfance que crachote son vieux lecteur CD.

Avec son épaisse moustache, sa veste à franges élimé, qui a sûrement vécue l'indépendance de la république du Texas, son stetson et ses santiags marron, il est resté exactement le même que dix ans auparavant.

Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque le refrain débute et que mon vieux se met à chanter de sa voix de stentor, comprimant mon cœur d'un mélange d'émotions contradictoires. La tristesse de quitter mon quotidien de Londonienne, mes amis de lycée et ma tante se dispute avec la joie de retrouver mon père, les décors du Texas, ses musiques entrainantes, ses habitants et, surtout, les souvenirs de mon enfance.

En ce milieu d'Août, la chaleur de l'été est suffocante et les insectes bourdonnent au dehors de la voiture, s'accrochant sur l'épais garde-boue, sans pour autant me convaincre de remonter ma vitre.

– Nous arrivons dans une quinzaine de minutes., prévient mon père de son fort accent Texan.

J'approuve de la tête, l'excitation grandissant dans ma poitrine.

Dix minutes plus tard, nous entrons dans le centre-ville de Wimberley et un immense sourire s'échoue sur mes lèvres pendant que je m'extase devant les vieilles bâtisses western. Les petites maisons multicolores se succèdent les unes aux autres, les bars country déjà plein à craquer à dix-huit heures du soir laissent échappés de la country des portes à doubles battants et les rues sont animés par des habitants de tout âge et des chiens joueurs. Mon regard se fixe sur l'un d'entres eux, un magnifique golden retriever beige, qui se met à suivre la voiture en aboyant joyeusement.

Le shérif continue de rouler docilement, saluant la quasi-totalité de la ville, avant de quitter cette dernière pour rejoindre un petit sentier en terre battue, à quelques centaines de mètres, menant à une vieille maison à étage. La peinture marron écaillé, la véranda en bois et l'imposante chaise à baldaquin, sur laquelle j'ai passée des après-midis entières sur les genoux de mon père, m'acceuillent avec une nostalgie débordante.

J'ouvre la portière de la camionette rouge du shérif, aussi vieille que sa veste, qui grince violemment et récupère mon sac à dos sur la petite banquette arrière, qui ne doit pas souvent servir, tandis que ce dernier sort tant bien que mal ma valise du coffre. Je grimpe les trois marches branlantes de la véranda et mon regard accroche tout ce qu'il peut, s'imprégnant des lieux.

Lorsque je me retourne, mon père m'observe, boulversé, et mon cœur se pince tandis que nos regards s'accrochent, où se mêle la tristesse, la nostalgie et une pointe de pudeur.

Je décide de rentrer à l'intérieur de la maison et une forte odeur de canelle et de pins emplit mes narines, me propulsant dix ans en arrière. Le sol en lino gondolés par endroit, la cuisine en inox grise, le buffet central et plus loin, encore invisible à mes yeux, le salon envahis par un canapé en cuir qui fait le bonheur du shérif. Tout est toujours à la même place, me laissant un arrière-goût acide au fond de la gorge.

– Je monte ta valise., m'indique-t-il du menton le grand escalier beige.

Je me met à le suivre, intimidée dans cette maison où j'aurais du me sentir chez moi. Un petit couloir pourvue de deux chambres et d'une salle de bains nous font face et il s'arrête devant la deuxième porte, sur le seuil de mon ancienne chambre, et se décale sur le côté, me laissant la priorité de la redécouvrir. La peinture de la poignée se détache en énorme plaques dans ma main et un étrange bruit de bois gonflé claque lorsque je la tourne. Je retiens ma respiration, la gorge obstrué par l'émotion, et avance de quelques pas dans la pièce.

– Je n'ai touché à rien, mais si tu veux on pourra l'aménager avec de nouveaux meubles et changer la peinture, tu n'a plus sept ans., déglutit mon père dans mon dos.

J'observe les étagères débordantes de peluches et de figurines de chevaux, mon stetson, à l'époque trop grand pour moi, posé sur ma petite chaise blanche et l'impressionante quantité de livres empilés sur mon bureau, beaucoup plus grand dans mes souvenirs. Les murs sont décorés par une ribambelle de posters de cow-boy derrière lesquels on devine une horrible peinture rose claire. Même mon lit possède encore les draps et les taies d'oreillers à l'éffigie des étalons sauvages que j'adorais, enfant.

– Oui, il faudra peut-être revoir la décoration., je souffle avec un sourire.

Mon père dépose ma valise au centre de la pièce avant de s'éclipser discrètement dans le couloir, me laissant l'espace pour m'installer. Je me mets à ranger mécaniquement mes affaires dans l'armoire murale, créant un petit tas de vêtements par terre qui m'appartenait plus jeune et qu'il faudra donner, lorsque la radio locale résonne au rez-de-chaussée, envahissant la maison de country.

Un sourire se dessine sur mes lèvres et je m'affale sur le lit, le regard rivé sur mon plafond ou s'étale un gigantesque poster de Lucky Luke.


Lorsque je redescend, une heure plus tard, une agréable odeur s'échappe de la cuisine. J'inspire profondément et mes papilles se trémoussent, du chili con carne, mon plat préféré. Luc, ou plutôt, mon père, relève la tête vers moi et m'adresse un sourire encourageant, un doigt pointé sur le plat devant lui.

– Je me suis dit que ça te ferait plaisir, j'espère que tu aimes toujours ça.

– C'est parfait, p'pa.

Il approuve, les joues légérement roses et on s'installe l'un en face de l'autre. Le dîner est particulièrement silencieux, le shérif n'a jamais été très bavard et je me force à débuter la conversation.

– Comment ça se passe le travail ?

– Bien. On a principalement des plaintes pour tapages nocturnes d'animaux ainsi que des accidents de voitures par ici. Même si certains jeunes n'hésitent pas à nous en faire voir de toutes les couleurs, il faudra faire attention à tes fréquentations., répondit-il en me jetant un coup d'œil en biais.

– Ne t'inquiètes pas pour ça. Et puis, de toute façon, je rentre en dernière année à la rentrée, j'aurais d'autres chats à fouetter, comme réussir mes examens.

Mon père pose ses couverts sur les bords de son assiette, la mine songeuse.

– Tu n'étais pas aussi sage enfant, tu étais même une véritable tornade.

J'hausse les épaules avec indifférence.

– Londres m'a sûrement apprise à l'être un peu plus. Tu devrais être content.

Il continue de m'observer quelques instants avant de terminer de manger en silence. Je me propose pour la vaiselle tandis qu'il part s'avachir devant la télé pour regarder une course de chevaux. Soudain, son regard me brûle la joue et je croise son visage figé dans une profonde réfléxion, les sourcils froncés.

– Il y a un problème ?, je demande, perplexe.

– Il faudra qu'on aille à la boutique. Tu ne peux pas rester habillé comme ça, Charlie.

Je jette un œil à mes converses flambant neuves, mon pantalon en lin et ma chemise en coton ample avant d'éclater de rire. Les seules tenues qui semblent acceptables aux yeux du shérif Luc McGarreth doivent être les santiages, les vestes en tweed et les grosses ceintures de western.

– Je suis certaine que d'autres personnes sont fringués comme moi, au lycée., j'avance avec aplomb.

Women Texas LoversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant