Chapitre 5 : Pox & Blue

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Le lundi matin, une légère appréhension se loge dans mon estomac.

Mon vieux n'a pas remarqué mon absence durant toute la journée du samedi, étant en service, et j'ai décidé de ne pas le lui raconté, afin d'éviter d'être enfermée à double tour dans ma chambre pour mon manque d'orientation consternant.

Je ne cesse de me demander quel comportement Madison optera lorsque nous nous croiserons dans les couloirs du lycée.

Me dira-t-elle bonjour ? S'est-elle déjà empressée de raconter à toute la ville ma ridicule mésaventure ? Ou bien m'ignorera-t-elle complètement, comme s'il ne s'était rien passé ?

La journée se termine finalement sans que je puisse apercevoir l'ombre de ses cheveux de jais et une pointe de déception me chatouille le ventre, que j'ignore ouvertement.

Je suis assise sur un muret en pierre avec Ashley pour attendre mon père, tandis qu'elle patiente pour prendre son bus. Les yeux rivés sur son téléphone, elle mastique un chewing-gum avec une telle énergie que le bruit commence à m'irriter. Je détourne le regard vers l'entrée du parking, les oreilles sifflantes.

Soudain, une immense masse d'un beige éclatant et d'une épaisse fourrure bondit sur mes genoux avec une tel force que je bascule en arrière dans les buissons. Ashley pousse un cri strident et je redresse la tête, complétement sonnée. Fièrement assis sur le muret où mes fesses étaient posés quelques secondes plus tôt, se tient un magnifique golden retriever qui me fixe de ses grands yeux marrons.

Je le contemple plusieurs secondes, figée d'incrédulité avant qu'un jeune homme ne s'approche de nous en courant.

Dang*, Blue ! Je suis vraiment navrée !, s'excuse-t-il en relevant sa casquette de quelques centimètres pour se gratter le front, un léger sourire amusé aux lèvres qu'il tente de camoufler.

Le chien se met à aboyer bruyamment et je décide de me relever tant bien que mal. Je croise le regard du jeune homme et je reconnais le motard et ami de Marshall. Un éclair de surprise traverse ses yeux avant qu'il ne se reprenne.

– Est-ce que tout va bien ?

– Impeccable., je grimace en époussetant mon pantalon en lin beige taché de terre.

– Il est un peu foufou et il est encore jeune, ce n'est pas vraiment de sa faute. Même si c'est vrai que c'est la première fois qu'il se jette sur quelqu'un avec l'ambition de faire un Strike., tente-t-il de se justifier.

La remarque m'arrache un sourire amusée et je me penche vers le chien pour lui gratter les oreilles. Ce dernier ouvre grand la gueule et laisse pendre sa langue, faisant preuve de bonne foi.

– Je m'appelle Pox., se présente son maître en nous observant.

– Charlie., j'enchaine par politesse en me redressant.

– Oui, je sais. Marshall m'a raconté l'escapade sans boussole de la fille du shérif McGarreth., ajoute-t-il avec une moue moqueuse.

Je me rembrume et étire un sourire crispée avant de m'éloigner, à la recherche d'Ashley qui s'est visiblement volatilisée. Pox me rattrape en trottinant et se positionne nonchalement sur ma gauche tandis que son chien, Blue a priori, gambade sur ma droite, m'encerclant.

– Excuse moi, je ne voulais pas te vexer., s'excuse une fois de plus le motard sans se départir de son sourire carnassier. C'est rare que Marshall me parle de quelqu'un.

– J'imagine que c'est plutôt rare de tomber sur une touriste perdue dans les hautes herbes sans plan ni téléphone, oui.

Un rire amusé s'échappe de Pox.

– Tu marches souvent sans direction précise ?, demande-t-il en faisant cette fois allusion à leur petite visite du parking.

– Je pensais que tu l'avais compris., je grince. Et puis, je ne t'es pas demandé de me suivre, c'est particulièrement malpolie de poursuivre une femme inconnue dans la rue.

– Mon chien ta renversé dans les plates bandes et tu a tellement d'épi dans les cheveux que tu pourrais faire office d'épouvantail, la moindre des choses serait que je te raccompagne jusqu'à ta destination., rétorque Pox sans prêter attention à ma pique.

J'étouffe un grognement et plaque une main sur mes cheveux emmêlés et rempli de branche pour tenter de les applatir. Je lui jette un regard noir, me refusant à en vouloir à Blue.

– J'attends mon père pour rentrer, tu peux retourner à ta partie de Bowling avec ton chien., je cingle.

– Le shérif est en train de résoudre une affaire de vol de voiture sur la nationale, il risque de mettre un bout de temps à revenir., lance Pox avec désinvolture.

Je me fige et me retourne vers lui, méfiante.

– Comment tu le sais ?

– Tout se sait, c'est le principe des petites villes. Ou alors il suffit d'allumer la radio locale., répondit-il en haussant les épaules, les mains enfoncés dans les poches de son jean déchiré.

Je me mords la lèvre, incertaine, et dégaine mon téléphone pour appeler mon vieux. Au bout du huitième appel sans réponse, je dois me faire une raison. Je pousse un soupir de frustration.

– Alors ? Tu m'autorises à ta ramener ?, s'enquit Pox avec un sourire victorieux.

– Je te préviens, si c'est une tentative d'enlèvement, j'ai une bombe au poivre dans mon sac.

– Tu n'es pas sensée le garder pour toi ?

Je ronchonne et le rejoint d'une démarche trainante. Pox fait demi-tour d'un air si supérieur que les poils de mes bras se hérissent tandis que ses santiags usés grincent sur le sol. Il s'élance à grands-pas vers le parking du lycée et je pèse une dernière fois le pour et le contre avant de le rattraper, je n'ai aucune envie de faire le pied de grue sur le trottoir du bahut jusqu'à ce que mon père ait terminé le travail. Par contre je n'es absolument pas de bombe au poivre en cas de problème.

Un élan de panique m'envahit au souvenir de l'énorme moto cross de Pox et je m'apprète à changer d'avis, quitte à rentrer à pied, lorsqu'il s'arrête devant une Ford verte et grise rutilante. Celle sur laquelle Marshall a l'habitude de s'appuyer de toutes les manières possibles.

Pox aide Blue à sauter dans la benne avant de grimper sur le siège conducteur et de me fixer avec impatience.

Je pousse un dernier soupir, cette fois de soulagement, avant de m'asseoir sur la banquette en cuir noir. Pox démarre le moteur qui vrombit d'un son grave avec satisfaction. Une légère odeur de jasmin et de romarin embaume l'habitacle et je suis persuadée que ce parfum n'appartient pas à Pox.

– Je pensais que c'était la voiture de Madison., je souligne en regardant le décor défilé par la vitre.

Pox me jette un regard surpris que je ne comprends pas avant de reporter son attention sur la route, pensif.

– C'est le cas. Je ne peux pas emmener Blue lorsque je suis en moto.

– Ce n'est pas anodin de se balader avec son chien au lycée. Elle n'était pas en cours aujourd'hui d'ailleurs.

Pox me jette un coup d'œil en biais, ce n'était pas une question mais une affirmation.

– Ca arrive, lorsqu'elle a trop de travaille au ranch. Et Blue ne m'accompagne pas en classe, il s'amuse dans les alentours.

– Et toi, tu en profites pour squatter sa bagnole et foutre des poils de chien dans sa benne.

Ca non plus, ce n'était pas une question et Pox s'esclaffe bruyamment.

– C'est à peu près ça, oui.

Lorsqu'il se gare sur le parking en terre de ma maison, je m'éjecte de la voiture, les sourcils froncés.

– Je trouve ça inquiétant la manière dont tout le monde semble connaître l'adresse de tout le monde dans cette ville.

Je m'éloigne d'un pas vif tandis que Pox éclate de rire derrière moi.


*Il s'agit d'une version plus polie du "damn" utilisée au Texas. Utiliser pour marquer son étonnement ou son mécontentement.

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