Prologue

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Anna

- Asha !

Je me retourne d'un coup, surprise par le cri de bête que vient de pousser Maxine, ma meilleure amie. Elle a un énorme carton dans les mains. Il fait deux fois sa largeur, et elle peine à le soulever, dansant sur un pied, puis sur l'autre, tentant de garder l'équilibre.

Je vais à sa rescousse avant qu'elle ne le fasse tomber. Il ne manquerait plus que ça et mon père aurait une raison de plus de faire la tête. En même temps, ce n'est pas comme s'il était un saint. Henri Steal a toujours eu l'habitude de faire la tête. C'est dans sa nature, je crois. Un trait de caractère probablement renforcé par son rôle de PDG implacable.

Je l'aide à le porter jusque dans sa chambre, puis je retourne aider Bibie, ma cadette, qui m'attend dehors pour trier le restant des cartons. Quand j'arrive, elle est en train de se chamailler avec son jumeau. Ces deux-là ne peuvent pas s'en empêcher. C'est plus fort qu'eux. Ils doivent toujours faire les pitres et se faire remarquer. A la longue, c'est épuisant et insupportable.

- Raph, laisse Bibie tranquille, lui asséné-je une petite tape derrière la tête. On a encore beaucoup de choses à faire avant la tombée de la nuit.

Mon frère lève les yeux au ciel, ne se sentant pas plus intéressé que ça par tout ce qu'il est en train de se passer. Pourtant, c'est un grand changement pour nous tous. Nous venons de parcourir près de neuf mille kilomètres pour nous installer dans l'une des plus belles villes du monde.

J'ai toujours rêvé de venir habiter à Paris. Bien sûr, nous venions passer tous nos étés ici, mais ce n'était pas la même chose. Nous passions le plus claire de notre temps dans la grande maison familiale des Steal, maison que mon père a décidé de revendre puisqu'elle se trouve trop loin des nouveaux locaux de sa filiale. Il était donc préférable d'habiter un appartement près du centre-ville.

Quand je pense que nous avons laissé derrière nous une magnifique propriété pour un appartement dans le XIIème arrondissement... Je ne dis pas que je ne m'y plairais pas. L'appartement possède sept chambres de trente mètres carrés chacune, autant de salles de bain, une cuisine, un grand et un petit salon, une salle de réception, une grande bibliothèque, une verrière, un bureau, un atelier de couture, un autre de peinture, une salle de musique, une terrasse... A vrai dire, il y a tellement de choses que je crois que je serais incapable de toutes les lister.

Je suis tirée de ma songerie par une sensation très désagréable de pincement au niveau de mon épaule.

- Arrête de rêvasser et prends ça ! m'ordonne Baptiste.

Il me le dépose dans les bras avant de repartir vers la camionnette pour en reprendre un autre.

Baptiste est notre ainé. Dix-neuf ans, déjà. Il a commencé ses études il y a un an. Plus tard, il souhaite travailler avec notre père. C'est un véritable modèle, pour lui. En vérité, ces deux-là se ressemblent bien plus que mon frère ne veut l'admettre. Le même caractère, les mêmes traits physiques. Baptiste place Henri sur un piédestal. Et je vous jure que s'en est lassant.

Je remonte donc dans l'ascenseur, direction le cinquième étage, et dépose le carton devant la porte d'entrée avant de repartir en bas, en empruntant les escaliers. Deux heures plus tard, nous sommes tous avachis dans le canapé du salon, morts.

Littéralement.

- J'en toucherai un mot à l'entreprise à laquelle j'avais fait la demande, râle mon père. On devait avoir des déménageurs, et finalement, nous avons dû tout faire nous-mêmes !

Ma mère lui dit que ce n'est pas grave, et que le principal, c'est que nous ayons réussi à tout faire dans le temps imparti, mais connaissant mon père, il n'en restera pas là. Vous pouvez me croire.

- Non, Lucie. C'est inacceptable ! J'ai payé une petite fortune pour que tout se passe correctement, et voici comment tout cela se finit. C'est un scandale !

Maxine et moi nous regardons et rigolons dans nos moustaches. Mon père a vraiment l'habitude d'en faire trop, surtout pour si peu. A ce que je sache, nous n'en sommes pas morts !

- On commande des pizzas ? propose finalement ma mère, une fois mon père un peu moins sur les nerfs.

Nous acquiesçons tous, terriblement affamés. Il est vrai que je ne m'attendais pas à devoir déménager une partie de nos affaires après avoir quitté l'aéroport, et après pas moins de douze heures d'avion.

Je suis vraiment lessivée !

Nous mangeons dans un silence que nous avons rarement entendu, puis après un rapide « bonne nuit », nous filons prendre une douche et rejoindre nos draps.

Je suis emmitouflée dans ma couette quand j'entends toquer à ma porte.

- Je peux dormir avec toi ? me demande Max en entrant doucement.

Je lui fais oui de la tête et me décale un peu pour lui faire de la place. Elle se glisse juste à côté de moi, puis pose sa tête sur le deuxième oreiller. Elle préfère ceux en carrés, moi ceux en rectangles.

Maxine et moi sommes deux opposés. Elle est extravertie, moi pas. Elle fait le clown, aime attirer les regards. Elle n'a peur de rien ni de personne, et surtout, elle adore susciter l'attention des jeunes hommes. Je suis tout son contraire, plutôt solitaire, même si j'ai besoin de ma dose de Maxine. Je n'aime pas être au centre de l'attention, et par-dessus tout, je déteste être abordée par des garçons. J'ai dû mettre un nombre incalculable de râteaux, si bien que l'on m'a surnommée Cœur de pierre. Un magnifique surnom qui me dure depuis presque sept ans, maintenant, mais je dois avouer que je ne l'ai pas volé.

Max commence lentement à s'endormir, ma main lui faisant des papouilles dans les cheveux.

- Dis, tu te souviens de la première fois qu'on s'est vues ? finit-elle par m'interroger.

- Bien sûr !

C'était en en CP. On était en cours d'arts plastiques et un garçon du nom de Jace Brower avait eu la bonne idée de lui envoyer un pot de peinture dans la tête, parce qu'il n'aimait pas sa coupe de cheveux, paraît-il. A cette époque, j'évitais à tout prix de me faire remarquer. Je n'aimais pas ça du tout, mais son geste m'avait profondément révoltée, et j'avais rappliquée sans même réfléchir, lui rendant la monnaie de sa pièce. Il avait fini avec de la colle et du papier crépon dans la tignasse.

A partir de ce moment-là, nous ne nous sommes plus jamais quittées. Nous sommes devenues les meilleures amies du monde, des gamines totalement inséparables et qui ont fait les quatre cents coups, ensemble. De vraies chipies !

- Je suis vraiment heureuse que tu m'aies défendue, ce jour-là...

- Moi aussi, murmuré-je, voyant qu'elle lutte pour ne pas fermer les yeux.

Notre amitié est particulière, mais c'est ce qui la rend unique. Je suis vraiment soulagée qu'elle soit ici, avec nous.

Max n'a jamais eu une vie très facile. Ses parents sont tous les deux chirurgiens et passent leur temps à l'hôpital, si bien que j'ai dû en tout et pour tout, les croiser cinq fois dans ma vie. Ma mère l'a tout de suite prise sous son aile. Elle fait vraiment partie de notre famille. Elle passait tout son temps chez nous, alors on ne se voyait pas partir de Los Angeles sans elle, même si pour ça, elle a dû quitter Jona, son grand amour de jeunesse.

Ils s'aimaient vraiment, d'un amour profond, mais elle aurait été trop malheureuse, sans nous. Nous sommes devenus sa famille, avec les années. C'est pour cette raison que ses parents n'ont vu aucun inconvénient à ce qu'elle parte avec nous, et j'en suis rassurée. J'aurais détesté la savoir là-bas, seule. Ça m'aurait brisé le cœur, surtout que je sais pertinemment que mes parents ne m'auraient jamais laissée rester à L.A. sans eux.

C'est un nouveau départ. Pour nous tous. Qui dit nouveau pays, dit nouveau tout : lycée, classe, amis, habitudes... Mais surtout, ça nous fait réaliser à quel point nous avons grandi. Nous ne sommes plus des petits enfants croyant vivre dans le monde des Bisounours. La vérité, c'est que ce déménagement m'a fait prendre conscience d'une chose : nos vies ne seront plus jamais comme avant.

Jusque dans l'au-delà... et plus loin encoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant