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Benjamin


La sonnerie retentit, et les élèves s'empressent de ranger leurs affaires. Un à un, ils viennent déposer leurs copies sur mon bureau. Lois n'est pas revenue, mais ses affaires sont toujours là, sur sa table. Lorsque Jules s'approche pour déposer sa copie et s'apprête à partir, je le rappelle.

— Peux-tu prendre les affaires de Lois et les lui ramener, s'il te plaît ?

Il paraît surpris, mais sans un mot, la mâchoire serrée, il hoche la tête et s'exécute. Je me note intérieurement d'être plus indulgent avec lui. Cette sévérité ne me ressemble pas. Ce n'est que ma deuxième année en tant qu'enseignant, et jamais auparavant je n'avais ressenti un tel conflit intérieur.

Je dois rester professionnel, ne rien laisser paraître. Jules est un bon élève, certes un peu dissipé, mais ses résultats sont excellents. Il n'est pas insolent, bien au contraire. Je devrais donc le traiter comme n'importe lequel de ses camarades. Pourtant, cette pointe dans mon estomac chaque fois que je le vois rire avec Lois me trahit. Je devrais être heureux pour elle. Pourquoi ne le suis-je pas ? De la protection, rien de plus.

Une fois la classe vidée, je m'apprête à ranger mes affaires quand une silhouette attire mon attention à la porte. Lois. Ses cheveux bruns encadrent un visage marqué par des yeux gonflés, rougis par les larmes. Elle hésite, puis entre. C'est seulement maintenant que je remarque à quel point elle est séduisante dans sa tenue. Une pince retient l'imposante masse de cheveux, dégageant son visage et mettant en valeur ses yeux verts. Elle porte un pull gris, un jean oversize qui tombe sur des bottes noires à talons. Elle est incroyablement élégante.

— Ça va mieux ?

— Oui, merci pour... tout à l'heure.
— C'est normal, je fais simplement mon travail.
Elle baisse la tête, déçue, semble-t-il, par ma réponse. Pour une raison que j'ignore.
— Où sont mes affaires ?
— Je les ai données à Jules.
— D'accord, merci. Elle tourne les talons pour partir, mais je me lève soudain.
— Attends, je voudrais te parler.Elle soupire, visiblement agacée par mon insistance.
— À propos de quoi ?
— Assieds-toi.Elle s'assied sur une table, croisant les jambes, ses bras en arrière.
— Tu es d'humeur à parler ? Elle fronce les sourcils, prise de court par ma question.
— Je veux que les choses soient claires, Lois. Je contourne mon bureau, venant me planter devant elle, à seulement quelques mètres.
— J'essaie de comprendre, d'être tolérant, mais tu dois m'aider à saisir ce qui se passe dans ta tête. Elle se redresse, croise les bras sur sa poitrine, que je m'efforce de ne pas regarder.
— Je ne vois pas ce que vous attendez de moi, exactement.
— Vraiment ?
— Oui, vraiment. Elle me répond avec une ténacité que je ne lui connaissais pas.
— Qu'est-ce qui provoque ces crises d'angoisse ?Mon téléphone vibre dans ma poche, mais je l'ignore.

— Aucun élève ne réagit ainsi à une simple évaluation, à moins qu'un facteur extérieur ne perturbe son équilibre.

— Vous ne savez rien de moi ni de ma vie.

— C'est justement pour ça que nous parlons.

Je sens que je la mets sur la défensive, mais ma tentative bienveillante n'a pas fonctionné. Il est temps de changer d'approche.

— Je suis obligée de vous répondre ?

— Non, mais si tu veux repasser ton contrôle, j'ai besoin de comprendre. Je m'adapte à chaque élève, mais toi, Lois... Je fais une pause, cherchant mes mots pour ne pas la braquer. Je n'arrive pas à te cerner.

— Je ne veux pas de traitement de faveur, ne me refaites pas passer cette évaluation.

— Mais tu aimerais une seconde chance, non ?

Ses yeux plongent dans les miens, un mélange de défi et de mystère. Je ne m'attendais pas à tant de cran. Lois, que je croyais fuyante, se révèle bien plus coriace qu'elle ne le laisse paraître.

— Non. Je n'attends rien de vous. Vous êtes mon professeur, vous êtes là pour m'enseigner, pas pour me prendre en pitié ou jouer les psychologues. Je vais très bien.

Elle marque un point. Je m'égare de mon rôle. Pourtant, le contact visuel intense me fait presque frissonner. Et ce qui suit me fige sur place.

Sans attendre de réponse, Lois se lève et se dirige vers la porte. Je reste immobile, espérant qu'elle se retourne, qu'elle laisse échapper une émotion, une indication sur ce qu'elle ressent réellement. Mais rien. Elle passe la porte, me laissant seul avec le silence pour seule compagnie.


                                                                                          ...

- Ho Ben, je te cause !

T claque des doigts devant mon visage figé par le tourment de pensée qui assaillent mon cerveau depuis la rentrée. La semaine prochaine j'amène ma classe de terminale au ski, sa classe... Je ne comprend pas ce que fait mon coeur. Ce fragile qui m'a tant fait défaut au lycée. J'avais justement réussit à contrôler mes émotions et ça fonctionnait. Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à elle. Lois fou tout en l'air sur son passage. Je ne la laisserait pas faire.

- Excuse moi T, je suis dans la lune.

- Rien de grave au moins ?

- Je n'en sais rien. Dis je en soupirant bruyamment.

- Tu veux en parler ?

- Non. Dis je en grimaçant à l'idée qu'il puisse me juger. Bien que T n'ai pas toujours été droit avec les filles, je ne sais pas ce qu'il pourrai penser de la situation. A vrai dire je ne sais moi même pas ou j'en suis. Ce n'est pas le moment de lui confier ce que je ressens.

- T'as une sale geule en tout cas.

- Merci tu as toujours les bons mots. Dis je en riant légèrement juste assez pour lui faire croire que sa plaisanterie à fonctionné et que j'ai oublié la cause de mon absence.

...

Le bus est stationné, moteur allumé, prêt à partir. Les élèves montent un à un, chahutant avec excitation, leurs sacs à dos s'entrechoquant dans le couloir. Je me tiens à l'entrée, vérifiant la liste des présents, quand je l'aperçois. Lois. Ses cheveux bruns balayent légèrement son visage, et son regard se pose brièvement sur moi. Elle a l'air nerveuse, ou peut-être est-ce juste moi qui surinterprète.

Elle s'assoit au fond du bus, à côté de Jules. Un nœud se forme dans mon estomac, sans raison apparente.

Pourquoi ça me perturbe autant ? Elle est juste une élève.

Je fais un effort pour me concentrer sur les autres élèves, mais mon regard dérive sans cesse vers elle. Lois parle avec Jules, sourit même, mais je n'arrive pas à me détendre. Un malaise persistant me suit, comme une ombre.

L'autre professeur, chargé du sport, rigole avec quelques élèves tout en chargeant les bagages, mais je ne prête qu'une attention distraite à ses plaisanteries. Ma conscience revient toujours vers elle. Vers Lois.

Je secoue la tête, agacé par ma propre incapacité à contrôler mes pensées. Ce n'est pas normal. Ce n'est pas... sain. Je ne devrais pas réagir ainsi.

Le professeur de sport me tape sur l'épaule, un sourire au coin des lèvres.

— Tout est prêt, Ben ? On peut y aller ?

— Oui, tout est bon, dis-je en hochant la tête, le ton plus brusque que je ne l'avais voulu.

Je monte dans le bus, mes pensées en désordre. Alors que je prends ma place, je ne peux m'empêcher de jeter un dernier regard à l'arrière du bus. Lois est là, son visage tourné vers la fenêtre, les bras croisés.

Elle ne me remarque même pas. Et cela me dérange. Je ne comprends pas pourquoi, mais ça me dérange.

Cette semaine va être longue... très longue.

La chimie du coeur (PROF/ELEVE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant