Le paysage défile lentement sous mes yeux et je ne parviens pas à l'apprécier. Mon corps, pourtant habitué aux chevauchées, est perclu de rhumatismes comme si j'étais une vieille chose, et j'ai la tête lourde...
Les hommes sont repartis dans la même conversation que la veille et je me sens de nouveau exclue... Les yeux me piquent et ma tête dodeline et se redresse par secousses.
La lande est sublime, son manteau vert recouvert par endroit des feuilles rouges et oranges de l'automne.
"Vous avez faim?" Demande brusquement Ronan, me faisant sursauter. Mon ventre choisit ce moment précis pour se mettre à gronder.
"J'ai ma réponse" tranche Ronan, qui fait signe à sa garde de stopper et qui saute au bas de son cheval.
La miche de pain de la veille apparaît dans leurs mains, un fromage de pays, un peu de viande séchée, une rasade d'eau ou d'hydromel et quelques minutes après, nous revoilà partis sur les routes.
Combien de temps va durer ce voyage?La journée est interminable et lorsque le soleil décline enfin, les hommes reprennent le même manège que la veille, exécutant exactement les même tâches.
Je me couche en silence, enveloppée dans ma fine cape. Le sommeil me fuit de nouveau, tant je suis aux aguets des bruits nocturnes de la forêt et de mes voisins, et je me concentre pour ne pas claquer des dents a cause du froid ambiant et du sol glacé.
Ronan se couche entre moi et ses hommes tandis qu'un autre prend sa relève, et les quarts de succedent encore jusqu'au point du jour.
La vigie vient secouer les dormeurs et Ronan se redresse en se frottant la nuque. Il s'étire paraisseusement et regardant autour de lui, comme pour faire le point.
"Où est votre paillasse?" Demande t il abruptement en focalisant sur moi pour la première fois.
Ma bouche s'entrouvre mais aucun son n'en sort, tant je suis intimidée par cet homme.
Il bascule sur ses genoux et écarte ma cape sans façon.
"Vous n'avez pas de couverture non plus?"
Je tourne la tête de droite à gauche pour lui signifier que non. Sa mâchoire semble se décrocher un bref instant et il me sermone d'une voix dure:
"Pourquoi n'avez vous rien dit ?"
Je hausse les épaules. Personne ne s'est enquis de moi depuis deux jours. On ne m'a pas demandé mon avis pour le mariage. On ne m'a pas demandé mon avis pour le voyage ou pour mes malles. On ne m'a pas demandé comment je me sentais, si j'avais faim, froid ou si j'avais bien dormi ou peur.
J'avais faim, froid, j'étais épuisée et horrifiée par la façon dont le monde entier semblait ne faire aucun cas de mon existence et de mon humanité depuis deux jours.
"Seigneur ... Vous allez être malade lady Emlyn !" Commente Simon, le chevalier qui m'a trouvé la veille dans les bois, il fait le geste de retirer sa cape mais lord Emlyn attrape mon bras et me projette vers mon cheval, qui porte encore mon maigre baluchon. Il ouvre les deux sacoches et en extrait quelques vieilles robes froissées qui ne conviendraient même pas à une bonne.
"Vous n'allez pas me faire croire que c'est la tout ce que vous avez emporté?! Votre petit manège de protestation ne prend pas avec moi! Vous êtes ma femme, et je vais faire en sorte que vous connaissiez votre place et votre devoir, c'est bien clair!?"
Absolument pas. Que veut-il dire? Je suis sûrement trop épuisée pour comprendre ce qu'il veut me faire comprendre.
Ses yeux d'un bleu intense sont plongés dans les miens, rageurs. Lord Emlyn, demuni par mon attitude passive me secoue mollement par le bras et bien que l'interaction ne soit pas violente, elle me surprend assez pour me déséquilibrer et me faire m'effondrer. Il a juste le temps de me saisir par les côtes pour m'empêcher de toucher le sol et me remet sur mes pieds."Déjeuner, ça vous réchauffera, on part dans quelques minutes."
Il se tourne et fourre les loques qui sont sensés me servir de trousseau dans les semaines qui viennent...Le petit roux dont j'ignore le nom me tend une tranche de pain qu'il a beurré au préalable.
"Merci" je répond avec un petit sourire.
Mon dieu que je dois avoir l'air pitoyable avec ma cape salie et mes vêtements boueux. Je n'ai pas trouvé mon petit miroir avant de partir (on se demande où il a bien pu passer...) mais si je l'avais sous la main, je suis persuadée d'y rencontrer un visage pâle aux traits tirés et creusé par les cernes...
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Série HISTORIQUE. Tome 2. Le Pire Parti
Historical FictionMahaut vit dans une région reculée des Highlands sous la coupe d'un père sévère. Lorsque ses maîtresses lui conseillent de marier bien vite la jeune fille, elles lui glissent un nom. Il est le pire parti que Mahaut puisse espérer. Quelques jours plu...