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Nos chevaux avancent depuis des heures. Les hommes de l'escorte et mon ... Mari... - Mon dieu que c'est difficile d'appeler ainsi un étranger! - ont engagé une discussion à bâtons rompus sur leur vie de chevalier et particulièrement d'un siège quelconque auquel ils ont participé. Et comme je n'entends rien à la poliorcetique, que je n'ai pas dormi la veille et que l'angoisse d'épouser un inconnu est brutalement retombée après la cérémonie, je suis complètement ailleurs, comme assommée et n'écoute rien de leur conversation...
C'est le brusque ralentissement de mon cheval qui me sort de ma torpeur.

Les hommes sautent à bas de leur monture sans me prêter plus attention et s'affairent d'un air determiné. Je saute au pied de mon cheval et l'un des hommes saisit la bride de mon cheval sans façon. Les trois autres s enfoncent dans les bois et réapparaissent après quelques minutes.

Un des hommes fabrique quelque chose avec de grandes branches, un autre allume le feu  et moi, je reste les bras ballants. Que suis je censée faire? Personne ne me dit rien et mon mari n'est pas encore revenu des bois...

Les hommes s'installent près du feu et ouvrent une bouteille d'alcool. Ils se servent de généreuses rasades et trinquent.
Je me sens mal à l'aise et inquiète de les voir boire ainsi... Lord Emlyn revient alors avec deux lièvres au bout d'une corde et ses hommes le félicitent bruyamment. Alors qu'ils entreprennent de nettoyer les carcasses, je m'éloigne discrètement pour faire mes besoins, me dégourdir les jambes et me nettoyer un peu.

Un cri rauque en provenance du camp de fortune me fait sursauter:

"Brunehaut ? Brunehaut!?"

Les cris se répercutent dans la forêt, repris en coeur par les hommes de l'escorte. Ne me dites pas que...?

L'un des hommes surgit soudain devant moi.

"Je l'ai trouvé !" Crit-il "dame Brunehaut, il ne faut pas vous éloigner comme ça! Vous nous avez fait très peur ! "

Je le regarde complètement éberluée tandis que les autres hommes apparaissent à leur tour, mon époux compris...

Il saisit mon bras et me secoue rudement.

"La forêt n'est pas sûre Brunehaut, vous ne pouvez pas..."

"Mahaut"

"Quoi Mahaut?"

"C'est mon prénom. Mahaut. Pas Brunehaut. Ça vous semble peut être un détail cela dit, c'est un peu vexant..."

Mon mari me regarde avec les yeux ronds et soudain, l'un des hommes éclate de rire.

"Vraiment Ronan, tu n'en rates pas une!"
Ronan... C'est comme ça qu'il s'appelle alors...

"Simon..." Grogne Ronan et Simon s'écarte en souriant, goguenard. Les autres s'écartent aussi et retournent au camp.

"Mahaut"

"C'est mieux"

"Les bois ne sont pas sûrs. Ne vous écartez pas sans escorte à moins de vouloir en finir avec la vie" déclare sèchement Ronan, avant de retourner au camp, les épaules raides, et je les rejoins quelques minutes plus tard.

Je déteste le lapin.
Il n'y a que ça et un peu de pain.

Je mange ma tartine et boude la viande.

Après le repas frugal, tous se lèvent, Ronan également, et il piétine le feu.

"Qu'est ce que vous faites?"

"Je m'assure qu'on soit en sécurité... Allez vous coucher"

"Au milieu des bois?" Ma bouche s'ouvre sous la surprise... Pour une nuit de noces ...

"Vous avez vu un château dans le coin?" Dit il, moqueur. "Allez dérouler votre nate..."

"Ma nate? Mais je ne..."

L'homme s'assoie au bord du cercle de pierres qui contenait le feu quelques minutes plus tôt.

"Allez... Filez" les trois hommes sont déjà couchés sur des nates en osier tressées et enroulés dans des couvertures et dans leurs capes. Un morceau de toile tendu sous des branches entremêlées,  forme un abri de fortune. Je n'ai pas de nate, pas plus de couverture... Juste ma fine cape.

"Je dors... Avec eux ?" Je demande, gênée.

Il me répond d'un simple "hum"

Je me mord la lèvre et m'éloigne. Ils se sont tous pudiquement tournés du même côté et je me colle contre l'arbre en m'enveloppant dans ma cape. Plusieurs fois, je relève la tête pour apercevoir mon mari qui me tourne le dos, assis devant les braises mortes du feu, le regard fixé vers l'horizon. Que fait il? Il monte la garde peut être? Les trois hommes ronflent depuis longtemps et la nuit est tombée depuis longtemps quand j'entends des pas feutrés se rapprocher de moi. Je ferme les yeux et ralentis la respiration pour donner à penser que je dors.

Un froissement de tissus. Une voix qui gromele de sommeil et je sens qu'on se couche près de moi. Ronan?

Un homme s'éloigne de la couche commune. Je pense qu'il s'agit de Simon. Après quelques minutes, la respiration d.a côté ralentit.

Les hommes se succèdent pour guetter et je ne parviens pas à trouver le sommeil, suivant le tracé des étoiles, écoutant les bruits nocturnes, surveillant les respirations de mes voisins, tout en grelottant.

Le soleil finit par se lever, mettant fin à cette nuit de noces interminable.

Série HISTORIQUE. Tome 2. Le Pire Parti Où les histoires vivent. Découvrez maintenant