Chapitre XVI

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-Ma mère vient de m'appeler pour me l'annoncer.

-Jaeson...je suis tellement désolée... 

Je m'assois à côté de mon meilleur ami et lui tapote nerveusement sur la main. Je n'ai jamais su consoler les gens.

-Putain... il avait 92 ans merde ! Il a pas le droit de crever !

-Jae-...

-Il peut pas ! Il...il peut pas m'abandonner...

 Les larmes se mirent à rouler sur ses joues. Un sentiment d'impuissance gagna mes entrailles.

Jaeson aimait son grand-père plus que toute autre personne sur cette foutue planète : il lui a tout apprit. Alors que ses parents travaillaient d'arrache pied pour vivre convenablement, ses grands-parents s'occupaient de lui. Il a grandi avec eux. Son grand-père a été la personne avec laquelle il partageait le plus de choses. 

-Pa'....

Voilà comment il l'appelait : Pa'. Et sa grand-mère se fait courtoisement appeler Ma'.

-Jaeson... on... on ne peut plus rien faire...

Une lueur effrayante s'alluma dans ses yeux. Je m'empressa d'ajouter qu'on ferait peut-être mieux d'aller fumer une cigarette dehors pour décompresser un peu.

Il accepta.

Nous voilà alors dehors, à 20h, sur le perron, à fumer une clope en regardant la pluie s'acharner à tomber. Mais nos regards sont en réalité dirigés dans le vide. 

-J'ai faim.

Je viens de briser le silence avec un détachement involontaire. Mais au lieu de me le reprocher, Jaeson me rétorque :

-Moi aussi, viens, on rentre. Je vais faire un truc à manger.


Nous éteignons alors nos cigarettes et les écrasons dans le cendrier plein, puis rentrons.


S'activant aux fourneaux, Jae ne parlait plus. On voyait bien qu'il était comme perdu, il n'était pas vraiment là. 

Je n'osais pas briser le silence qui nous enveloppait. Il permettait de garder une certaine stabilité dans nos têtes.

Car dans mes pensées non plus, tout n'est pas rose. Je n'ai de cesse de repenser à Charlie, à la façon dont je l'ai fuie, lâchement, alors qu'elle avait proposé de m'accompagner voir ma sœur... Ma Riley.. seule à l'hôpital...probablement encore endormie et fatiguée...sait elle seulement que je suis partie ? J'espère qu'elle se rétablit...

Et... je ne peux m'empêcher de songer à Félix.


"-C'est prêt. Bon app', me lança Jaeson en m'extirpant de mes pensées.

Il posa devant moi une assiette pleine d'œufs au plat, de salade composée et un verre de... Un verre de quoi ?

Comme en lisant dans mes pensées, il me répondit que c'était de la bière.


Nous mangeons dans le silence le plus complet, mais son repas est vraiment délicieux. 

Cependant, durant tout le repas, mes plaies me tiraillaient. Je sentais un peu de sang imprégner mes pansements de fortune. Alors je me suis dépêchée de terminer de manger pour me cacher dans ma chambre. Dès que j'eus fini, j'enlaça Jaeson et je monta dans ma chambre au plus vite.


Je me laisse tomber sur le lit. Toutes mes forces semblent m'avoir quittées. J'ai un atroce mal de ventre qui ne fait que s'intensifier. Et j'ai du sang plein le tee-shirt.

Je me sens mal. J'ai le sentiment de nager à contre courant depuis des heures ; c'est épuisant et je sens que je vais finir par me noyer.

Alors je me penche et attrape le manche de ma guitare, la pose sur mes genoux et gratte les cordes.

Je fais danser mes doigts sur les cases, les fais voltiger tels des acrobates. De l'autre main, je tente de trouver un rythme. Avec mes deux mains, je parviens à créer une mélodie qui apaise un peu mon cœur trop lourd. Et je la fais durer, durant des minutes interminables, pour rallonger ce sentiment de soulagement qui ne m'envahit que lorsque je crée ou que je me coupe.

 Lorsque la dernière note s'envole et s'estompe, je me sens retomber violemment sur le sol. Le choc est tel qu'il m'en coupe encore une fois la respiration : mon cœur accélère de nouveau et je me met à trembler de façon incontrôlable. 

Je me recroqueville sur moi-même, le visage enfoui dans mes genoux. Mes larmes montent dans mes yeux et roulent sur les draps, il m'est impossible de les contenir. Je me sens tellement faible, si vulnérable et incapable... Dans la pénombre de ma chambre, je crois entendre la voix de ma mère fredonner une mélodie, cette mélodie qu'elle me chantait le soir, lorsque je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Imperceptiblement, mes lèvres entamèrent la chanson.


Why are you crying little butterfly? 

Please forget your pain,

I'll take it on me,

And if the world hurts you,

I will hurt the world for you,   

Stop crying my little butterfly :

Tears stain your face

I'd rather see you smile.

Why are you crying little butterfly? 

Don't you see the beauty of your wings?

Don't you see how colorful and precious they are?

Stop crying my little butterfly, fly instead. 

But watch out for the rain, don't damage your wings...


Ma mère serait tellement déçue si elle me voyait... Je suis le contraire de tout ce qu'elle aurait voulu. 

Son mari à essayé et presque réussi à nous tuer, je veux moi-même effectuer cette action de plusieurs façons différentes depuis son départ...

"Je ne tiens plus maman...Je te rejoindrais bientôt..."

Mes idées noires auront raison de moi un soir ou l'autre, si les médicaments ne m'achèvent pas avant. Je pourrais enfin m'envoler comme elle me le demande dans sa chanson...

Je m'envolerais.

Mais je veille sur Riley avant, parce qu'elle est la seule personne qui me retient inconsciemment en vie depuis le départ de notre mère.

Riley...

"-Je suis désolée..."

ButterflyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant