Episode 45 : Gaia

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    Quelque part dans les Cotswolds,

Un bâtiment ancien s'élève devant moi, sous un ciel menaçant. Un parc bien entretenu m'encercle et pourtant personne ne profite de ce beau coin de verdure. Il est désert et ce constat me fait frissonner.

Les lieux me mettent mal à l'aise, mais je décide pourtant de monter les marches du centre, décidée à parler à Gaia Anderson.

Dans le hall, je découvre une secrétaire au visage sévère, planquée derrière un grand comptoir, qui me regarde avec méfiance.

-Puis-je vous aider ? questionne-t-elle sèchement.

-Je voudrais rendre visite à Gaia Anderson ?

-Ah bon ? Qui êtes-vous ? Mademoiselle Anderson n'a jamais de visite et je ne vous ai jamais vue auparavant.

-Je suis une connaissance de la famille, je viens des États-Unis.

-Je ne crois pas que ce sera possible. Seuls les proches sont autorisés à la visiter.

-J'ai fait un très long voyage pour la revoir. Vous n'allez quand même pas me renvoyer comme ça ?

-Je ne devrais pas vous écouter... mais bon allons la voir ensemble ! Si Gaia vous reconnait alors, je vous autorise à lui parler un peu. Seulement si elle vous reconnait, d'accord ?

Peu sûre de moi, je hoche la tête avec un semblant d'assurance.

-D'accord.

-Depuis le temps qu'elle est ici, nous connaissons son don, c'est comme cela qu'on l'appelle ici ! Nous savons que Gaia n'oublie jamais un visage ! Cela nous a toujours surpris surtout avec ses séquelles neurologiques importantes.

Je marche lentement derrière la dame qui arpente plusieurs couloirs sinistres. Nous finissons par nous arrêter devant une porte close.

La porte s'ouvre sur une dame d'une quarantaine d'années, assise dans un fauteuil confortable. Un silence pesant enveloppe la pièce.

-Bonjour Gaia ! Bonne nouvelle : tu as de la visite !

La dame ne réagit pas, elle fixe le parc au travers de la fenêtre. Son visage semble fermé, triste, même légèrement anxieux.

-Gaia n'a jamais aimé la cannelle, dit-elle soudain d'une voix forte sans même faire attention à nous.

-Menthe, fleur d'oranger, violette, poivre, sel, fleur, cannelle...

-Gaia, reconnais-tu cette dame ? Regarde-la bien !

Madame Anderson lance un rapide coup d'œil vers moi pour revenir aussitôt à sa position initiale. Elle pose ses deux mains sur sa longue jupe grise fripée pour se mettre à la lisser nerveusement entre ses doigts crispés.

-Je ne sais pas trop ... Par contre, je sais que Gaia ne veut plus voir la télévision. Les images font peur, très peur à Gaia.

-Ne t'inquiète pas, madame Meyer a enlevé la télévision de ta chambre. Tu ne verras plus les vilaines images, répond calmement la secrétaire.

La secrétaire tourne les yeux vers moi, pour me dévisager quelques instants, semblant rester sur ses gardes, prête à me ramener directement dans le hall.

-Désolée madame, mais je pense que Gaia ne vous reconnait pas, dit-elle avec politesse, mais fermeté.

-Si, je la reconnais ! Elle est juste différente d'avant, rétorque Gaia.

Silence.

Sa réponse me fige sur place.

Me reconnait-elle réellement ? Comment est-ce possible ? Je ne me souviens pas de cette fille.

-Elle est plus vieille, c'est tout.

Intimidée par sa franchise et son aplomb, je m'approche d'elle lentement, sous le regard méfiant de la secrétaire.

-Me reconnais-tu vraiment ?

-Oui.

-Qui suis-je ?

-Tu es Clara.

Je suis tout aussi surprise que la secrétaire, mais je ne laisse rien paraître, convaincue par les paroles de Gaia. Je remarque avec soulagement que celle-ci se retire discrètement pour nous laisser seules un moment.

La porte se referme lentement dans mon dos. Je me concentre de nouveau sur la mystérieuse Gaia face à moi.

-Me reconnais-tu vraiment ?

-Oui.

-Pourquoi m'appelles-tu Clara ?

-Parce que tu es Clara ! As-tu encore les petits poneys ? Gaia a toute la collection !

-Non, je n'en ai pas.

-Gaia n'aimait pas vivre sur l'île.

-De quelle île parles-tu ?

-Toi non plus, tu n'aimais pas, tu pleurais beaucoup, tu avais peur, tu voulais partir. Je t'ai offert un de mes petits poneys. Gaia ne voulait pas que Clara soit différente, comme pour les petits poneys.

-De quoi parles-tu ?

-Papa voulait que tu sois différente. Comme pour Gaia, parce que ce qu'il ne l'aimait pas comme elle était...pauvre Gaia ... il voulait la changer.

-Que veux-tu dire ?

-Il ne l'aimait pas pour de vrai. Lui, il savait tout et ne se trompait jamais. Gaia ne comprenait pas et se trompait souvent. Clara, tu te souviens ?

-Désolée mais, je ne m'appelle pas Clara, mon prénom est Leonora.

Gaia tourne le regard vers elle, comme effrayée.

-Non ! C'est faux, tu es Clara, hurle-t-elle soudain.

Leonora tressaille, mal à l'aise.

-Ils ne pouvaient pas les changer. On devait les aimer comme ça ! Noooon ! crie-t-elle, paniquée. Tu ne peux pas ne pas être Clara.

Brusquement, Gaia se jette par terre tout en hurlant à pleine gorge.

-Non ! Nooooon ! On devait les aimer comme ça... ne pas les changer ... ne pas les changer.

Alertée par les cris, la secrétaire apparait dans la chambre, préoccupée par la crise de Gaia.

-Mais que se passe-t-il ici ? Que lui avez-vous dit ? s'énerve-t-elle tout en se penchant sur le corps agité de sa patiente.

Paniquée par la situation improbable qui se déroule sous ses yeux, je ne réponds pas aux reproches de la secrétaire.

Que dire ?

Paniquée, je m'éclipse dans le couloir tout en entendant les cris de Gaia résonner derrière moi et me faire trembler de toute part.

Le souffle court, je décide de m'enfuir lâchement dans le couloir sinistre.

Tout ce que je peux faire maintenant, c'est déguerpir avant de devoir rendre des comptes sur mon intrusion dans la vie de cette pauvre femme.

Supermundane TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant