Episode 38 : enfin

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   Souriante, la dame me fixe avec des yeux humides :

-Viens t'asseoir. Je n'ose croire que ce jour est enfin arrivé ! Cela fait des semaines que je t'attends ici chaque vendredi. Tu imagines ?

-Je ne comprends pas ce qui se passe, ni pourquoi je suis venue ici.

-Tu comprendras bientôt, je te le promets.

La dame s'installe à une table et m'invite à faire de même.

-Tu es si belle... murmure-t-elle avec émotion. Et tu as toujours tes beaux cheveux blonds. Ils ont tellement poussé. Tu es si grande, j'ai toujours su que tu serais grande ...

J'ignore froidement tous les compliments qu'elle enchaîne en me contemplant, la bouche bée. Cette situation étrange me met mal à l'aise, mais je force à ne pas m'enfuir sans me retourner.

-Qui êtes-vous ?

-Nous nous sommes connues il y a bien longtemps, lorsque tu n'étais encore qu'une petite fille.

-J'ai très peu de souvenirs de mon enfance... je ne me souviens pas de vous.

Je ne suis pas totalement honnête avec cette femme, mais cela m'est égal. Pourquoi lui dirais-je la vérité ? Je ne sais pas qui à qui j'ai affaire.

-Je sais... je sais que tout doit être très confus dans ton esprit, mais petit à petit, cela deviendra plus clair. C'est juste une question de temps.

-Je ne vous suis pas. Pourquoi ai-je eu ce cauchemar où j'ai appris que je devais me rendre ici ?

-Ce n'était pas vraiment un cauchemar, juste un souvenir embrouillé perçu comme un mauvais rêve.

J'enfouis mon visage dans mes mains, noyée par l'incompréhension, lasse de toute cette histoire qui se complique chaque fois davantage.

Cela n'a aucun sens.

-Le jour où nous nous sommes rencontrées, tu n'étais qu'une toute petite fille. Tu étais déboussolée et vivement marquée par la perte de ta famille. Ce jour-là, j'ai su que nous serions liées à jamais.

Mon visage se durcit. Que sait-elle de mon passé, de mes galères ?

-Vous vous trompez, je n'ai pas perdu ma famille, j'ai été abandonnée par elle.

La dame me dévisage tristement :

-Je sais ce qu'ils t'ont dit. Je n'ai jamais été d'accord avec ces pratiques, mais je t'assure que tes parents ne t'ont jamais abandonnée.

-Comment ? Mais de quoi parlez-vous ? Pour quoi m'aurait-on menti à l'orphelinat ? Pourquoi me cacher quelque chose d'aussi important ?

-Tes parents sont morts, Leonora ... Et tes petites sœurs aussi.

-Mes sœurs ?

-Oui, tes sœurs.

-Vous racontez n'importe quoi ! Je suis fille unique.

-Je te dis la triste vérité, je suis désolée Leonora.

En colère, je la fixe avec un regard noir, empli de haine mélangée à de la frustration. J'ai soudain envie de me lever et de quitter cet établissement. Pourtant, dans un silence lourd, je décide de rester assise face à cette dame énigmatique.

-Pouvez-vous non seulement vous mettre à ma place ? soufflé-je, mélancolique.

-...

-Savez-vous ce que c'est de grandir avec ce sentiment sordide d'avoir été rejetée par les siens ? J'ai évolué dans la vie en étant persuadée d'avoir été abandonnée par mes parents, les seules personnes au monde qui étaient censées m'aimer sans condition... Je n'ai jamais réellement trouvé ma place sur cette foutue planète et je n'ai jamais eu l'impression de compter sincèrement pour quelqu'un. Et maintenant, vous, vous me dites que tout est faux ? Pourquoi vous croire ?

-Ils t'ont menti pour t'isoler. Un enfant qui n'a plus de repères ne cherche pas à s'enfuir ni à se rebeller. Il a peur et il s'attache au peu qu'on lui donne. C'est la réaction que tu as eue... tous comme les autres.

-Pourquoi aurais-je cherché à m'enfuir de l'orphelinat ? Cela n'a aucun sens ?

-C'est une longue histoire et je t'ai donné ce rendez-vous pour pouvoir enfin tout t'expliquer.

Je lève les yeux au ciel. Cette femme totalement incohérente m'énerve.

-Qui suis-je supposée croire ? Je ne vous connais même pas. Je ne comprends rien à ce qu'il m'arrive.

-Tel que je te connais, tu n'auras confiance qu'en toi-même, Leonora ! Ta mémoire te permettra un jour d'y voir plus clair. Tu te rappelleras, bientôt. Ce n'est qu'une question de jours.

Je ne réponds rien et je me mets à regarder autour de moi les familles qui mangent et discutent. L'endroit m'aurait certainement plu dans d'autres circonstances, mais à cet instant, assise face à cette inconnue, je ne ressens que du rejet.

-Pourquoi ce restaurant ?

-Parce que je savais où tu étais partie à tes 9 ans, où ta famille adoptive habitait. Je voulais être proche de toi le jour où tu te souviendrais de moi... Tu sais, je me suis fort inquiétée pour toi lorsque tu as été adoptée par cette femme froide et distante, mais je n'ai rien pu faire pour te protéger ...tu ne méritais pas cette vie après le drame que tu avais subi ! Lorsque j'ai appris par Adrian que tu avais déménagé à Seattle, j'ai eu très peur que tu ne viennes jamais à notre rendez-vous ...

-Pourtant, je suis là.

-Oui tu es là, enfin.

Supermundane TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant