Violon

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Je suis là, assise sur cette chaise, avec pour seule compagnie ma douleur. Elle me regarde tendrement et m'enlace, étouffant peu à peu tout ce qui n'est pas elle. À l'intérieur je suis vidée, je suis brisée. En moi plus rien ne vit, plus rien ne luit. 

Petite coquille creuse dérive au vent en cherchant la fleur d'espoir qui autrefois l'habitait pour l'animer. Tout est mort, tout a disparu. Ne reste plus qu'une plaine de larmes et de cris, un océan de tourments. Des rêves brûlés et des pensées infertiles constellent le ciel des désolations. 

Tout fait mal, chaque mot, chaque regard, chaque personne qui se détourne pour continuer à sourire. Les vagues de mes émotions s'entrechoquent alors dans ma tête avant de voler en éclats. Je m'effondre. Les gouttelettes salées retombent contres les parois intérieures de ma tête. Je lutte contre le froid qui m'envahit. Puis elles s'échappent par mes yeux, laissant dans leur sillage une marque imprégnée de toute mon amertume. 

Je suis seule. Terriblement seule. Mon unique compagnie est cette douleur qui me ronge. Cette douleur que j'essaie d'ignorer, de réprimer jour après jour. J'ouvre les bras et la contemple, un nouveau sourire factice sur le visage. 

- Tu viens ? Il est temps d'y aller, ne penses-tu pas que j'ai assez souffert ? 

Sort alors de la houle une bête noire, un peu timide, légèrement curieuse et surtout très craintive. 

- Si tu agites tout ce qui se trouve autour de toi de cette manière c'est pour ne pas te blesser d'avantage, pas vrai ? Tu veux juste menacer les gens de ce qui les attends s'ils viennent me trouver. Allez, viens là. On est restées seules assez longtemps. Et, au pire, s'ils nous détruisent à nouveau je me chargerai de subir les blessures, je m'occuperai de recoller les fragments de moi qui existeront encore. 

La bête noire fait un pas, un autre, regarde en arrière, souffle sur la surface de l'eau pour l'aplanir, puis vient se lover contre moi. Le dragonnet, puisque c'en est un, se roule en boule, passe le museau sous la queue et se recouvre de son aile. Ses écailles deviennent argentées. Il dort.

Au final on cherche tous un peu de chaleur dans le monde qui nous entoure.  C'est juste que notre peur nous en empêche plus ou moins, et la tienne était un tsunami titanesque, mon petit.

Puis je sors de ma tête, regarde le monde alentour et vois. 

Ce n'est pas fini, mes larmes ont posé sur ce qui m'entourait un doux voile d'illusion. Pour contrer le charme je me saisis de mon violon et de mon archet avant de jouer la mélodie de la discorde, celle qui ternit mes rêves et entache mon esprit.

Les cordes vibrent doucement et déversent dans l'air leur doux chant réparateur. Je suis de nouveau chez moi, là où le monde ne m'étouffe plus. Les notes entrent une par une dans mon esprit, elles envahissent mes veines et en font sortir toute mon énergie bouillonnante de colère. 

Je suis moi. Je suis calme. Je suis paisible. Ça fait du bien, je la recherchais depuis tellement longtemps cette sensation. C'est fini. Ça ira, ça doit aller. Je vais enfin pouvoir regarder mon passé en riant, mes tords sans pleurer. Je vais définitivement faire mes adieux à la culpabilité. 

Alors, une dernière fois, j'ouvre les yeux et contemple le monde qui m'entoure. Le voile a disparu. De grandes fresques rouges dégoulinantes décorent les murs, héritage macabre de ma douce musique. Au sol se trouvent par endroit des marres de ce même liquide visqueux. Du sang. 

Un sourire triste sur le visage je regarde l'instrument dont est née la mélodie de ma douleur. Nulle surprise ne s'empare de moi lorsque je découvre qu'il n'y avait ni violon ni cordes ni archet mais seulement mon bras, mes veines et un couteau. Au fond je le savais. 

Alors, une dernière fois, je ferme les yeux en pensant paisiblement que ce rêve sera le dernier. 

Constats d'une passagèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant