𝐑𝐞𝐜𝐡𝐮𝐭𝐞

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Après une éternité, deux gars de Jiro débarquent pour me détacher. Je m'étire, je masse mes poignets endoloris. Ils m'escortent dans un couloir sombre jusqu'à l'extérieur et me sortent par une porte arrière du bâtiment, dans une ruelle.

L'air frais me frappe au visage, et je prends une grande inspiration.

Enfin dehors. J'ai l'impression d'avoir passé une nuit au poste.

Si seulement ce n'était que ça...

Une voiture noire est garée sur le trottoir. Le type au volant klaxonne, genre, j'ai pas le choix de monter.
Alors je monte. Une vitre teintée me sépare de lui. Il démarre sans un mot.

Pendant le trajet, je réfléchis à tout ce qui vient de se passer. À ce que je viens d'accepter...

Mais bordel, qu'est-ce que je fous.

J'ai accepté de traquer et buter un homme sous les paroles envoûtantes d'un inconnu, et en deux secondes seulement. Comme si j'en étais capable ? Pour qui est-ce que je me prends bordel ?
Est-ce que je suis vraiment aussi paumée pour ruiner ma vie comme ça ?
Ou c'est juste que je suis complètement inconsciente ?
Une part de moi essaie de me faire croire que je le fais pour Judy, pour venger ce qu'elle a pu vivre avec ce taré.

Mais, est-ce que c'est vraiment ma seule motivation ?

Enfin arrivés. Je marmonne un vague "merci" au chauffeur et je rentre dans l'hôtel en titubant. Les hôtesses du comptoir me lancent des regards bizarres.
Normal, vu ma gueule : rouge à lèvres bousillé, cheveux en vrac, robe déchirée.
J'ai l'air d'une droguée de New-York.
Je leur adresse un sourire rapide, et fonce vers l'ascenseur.

À mon étage, je passe la carte de ma chambre, j'entre, et je claque la porte derrière moi.

Ma suite paraît calme en comparaison de ce que je viens de vivre, mais c'est qu'une illusion. Bientôt, ils viendront frapper pour m'embarquer dans une nouvelle vie.

Je sors l'enveloppe que mon "nouveau patron" m'a donnée et la jette sur le lit, comme si elle allait me brûler les doigts.

Direction le mini-bar.
Je prends un verre et une bouteille de vin.

On dirait ma charmante maman...

Je sais que boire ne va rien résoudre, mais là, j'ai besoin de décompresser.
J'ouvre la bouteille et me sers un verre.
Puis un deuxième,
Et un troisième.

Je laisse le verre tomber, il se fracasse. Tant pis. J'attrape la bouteille et je la descends direct.

J'ai soif.
Mon corps se tord sous l'ardeur de cette soif insatiable.
C'est un désert en moi, une déchirure brûlante. Rien n'apaise cette sensation.
J'ai soif.
Et c'est comme si je brûlais de l'intérieur.

J'ai mal.
J'ai mal comme si chaque os, chaque fibre de mon corps me trahissait, éclatant sous la pression, me laissant en miettes.
La douleur monte, elle déferle, elle me submerge.
Et ça ne s'arrête jamais.
J'ai envie de hurler, de lacérer cette peau qui m'étouffe.
J'ai envie de tout déchirer.

Fuir ce bordel.

Qu'est-ce qui m'a pris ?
Comment j'en suis arrivée là ?

Je ramasse un éclat de verre, mes doigts tremblent autour de lui.
Le bord luit, si tranchant,
si tentant...

Et si... ?
Et si je laissais tout ça derrière moi ?
Si je cessais enfin de me débattre ?
Et si je réessayais, pour ressentir quelque chose à nouveau ?
Juste une fois, juste pour voir...

Mon sac vibre.

Je sors mon téléphone. Lauren s'affiche à l'écran.
Je décroche.

T'es qu'une connasse, True, lâche-t-elle sèchement.
— Je sais.
— Je te déteste.
— Je sais...

Je commence à pleurer.

Elle le sait, mais elle dit rien.

— Je le sais, merde !
— True...
— Faut que je te laisse, Lauren. Salut.

Elle dit encore un truc, mais je raccroche avant d'entendre.
Je repose mon téléphone et je me remets à fixer le bout de verre.

Je le serre dans ma main.
Je le serre jusqu'à sentir le froid du verre s'enfoncer dans ma paume.

Encore.
Je dois serrer, encore...

Le sang chaud coule le long de mon bras.

Encore, encore plus !

Ça fait mal, tellement mal.
Mais cette douleur-là, c'est rien comparé au reste.

Je finis par lâcher le verre et regarde ma main en sang.

— T'es vraiment qu'une lâche, True...

Je me traîne jusqu'à la salle de bain et passe ma main sous l'eau froide.

La coupure est pas énorme, mais elle est bien profonde.
Je fouille les placards et trouve une trousse de secours.
Il y a une bobine de bandage.

J'ai l'habitude de soigner ce genre de blessures. Enfin... quand c'est pas moi qui me les fais.

Je coupe une bande et enroule ma main.
Je regarde le sang se diluer dans le tissu blanc.
Puis, je relève les yeux, et le reflet dans le miroir me frappe.

— T'es devenue quoi, hein ?

Je ressens que du mépris pour ce que je vois.
J'étais sobre depuis des mois.
J'avais rien fait depuis des mois.
Et j'ai tout foutu en l'air en dix minutes.

Je retourne dans la chambre, m'assieds sur le lit. Je fixe l'enveloppe noire.

Mon cœur cogne, comme s'il voulait fuir ce qu'il sait qu'elle contient.
Comme si cette enveloppe renfermait une bombe prête à m'engloutir.

Mais j'ai plus le choix.
Plus maintenant.

La nuit est encore longue. Je sais qu'en l'ouvrant, je replonge dans la spirale.
Et pourtant, malgré la terreur qui m'envahit, la voix de Jiro résonne dans ma tête :

"Si tu veux la vérité, va la chercher."

Je prends une grande inspiration, je saisis l'enveloppe.
J'ai signé avec le danger, et je suis à lui, jusqu'à ce que l'un de nous deux l'emporte.

Alors...

Qu'on commence les paris.

UNTRUTHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant