12. Trente-huit tonnes d'emmerdes

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 — Je préfère vous avertir que je suis au courant du marché qui a été passé entre San Francisco, le bureau de la présidente, et l'Union européenne, assure le capitaine Knox Marshall, furieux. Je sais parfaitement que tout se paie et je n'entends pas renégocier l'accord qui a été trouvé entre mes chefs et les vôtres. Je comprends qu'il a été décidé de vous laisser la gestion de certains de nos États une fois la menace éradiquée. Je comprends également que si « gestion » n'est pas, sur le papier, « cession », la réalité veut que ce soit tout comme.

Il fait une pause, et inspire profondément, avant de repartir de plus belle, devant un commandant au regard maintenant amusé, et au verre toujours levé.

— Il me semble cependant qu'il n'a jamais été question de conquête. L'U.E. administrera certains de nos États, c'est un fait. Mais vous n'êtes en rien ici pour prendre possession du pays. J'espère qu'il ne s'agit entre nous que d'un malentendu, achève-t-il tandis que ses subordonnés se sont également redressés sur leurs sièges. Ce pays est bel et bien mon pays. Il ne sera jamais le vôtre.

Enzo fait quelques pas en arrière. Il lui semble que l'insolence dont il vient de faire preuve est en train de prendre une tournure qu'il n'avait pas envisagée. Il avait voulu pousser un peu son chef. Voir jusqu'où il pouvait aller. Après tout, il ne subsistait plus guère de corvées à leur assigner. Il réalisait à présent son erreur. Il avait bêtement cru que cette petite rébellion contre l'autorité lui prouverait que sa lâcheté de la veille, à l'épicerie, n'avait été que passagère. Se maudissant de sa stupidité juvénile, il tente de s'éclipser. Sa retraite est brutalement coupée lorsque la voix de son supérieur l'interpelle.

— Restez, soldat Facchetti. Savez-vous, demande Cicerone en se levant à son tour de table, pourquoi je n'ai pas fait de vous, et de vos douze petits copains, des exemples ? Pourquoi je ne me suis pas purement et simplement débarrassé de vous ?

— M'commandant ? répond timidement Enzo, sentant toute envie de bravade le fuir comme le lait bouillant d'une casserole trop remplie.

— Si je ne vous ai pas fait fusiller, soldat Facchetti, c'est parce que malgré toute la connerie dont vous avez fait preuve, vous êtes sortis de ce bâtiment en vie. Parce que vous avez déjà pu voir un Enragé à l'œuvre, un privilège qui vous rend précieux. Parce que je n'ai pas suffisamment d'hommes pour commencer à les exécuter moi-même.

Enzo se détend un peu, attendant malgré tout la suite avec inquiétude. Knox Marshall fulmine. Il se mord les lèvres avec une fureur mal contenue, risquant d'exploser à tout moment. Cicerone n'y attache aucune importance.

— Pour le moment, vous êtes utiles. Tous les treize, dit-il au liquidateur. Le capitaine Marshall, ici présent, ne l'est plus.

Et dans un soudain mouvement du poignet, l'arme du commandant Cicerone monte vers un capitaine abasourdi. La détonation claque, sèche, brutale, avant même que quiconque ait pu faire le moindre geste. L'homme vacille, puis s'écroule aux pieds de ses subordonnés stupéfaits. Ils tentent de s'emparer de leurs revolvers, mais les deux lieutenants liquidateurs les tiennent déjà en respect. Cicerone jette un regard entendu à Enzo, et l'évacue d'un signe de la main. Le troupier, qui semble maintenant tout disposé à honorer les ordres de son supérieur, s'éclipse sans demander son reste.

— Messieurs, dit le gradé en reportant son attention sur les deux vassaux de feu Knox Marshall, cette base est à présent sous drapeau européen. Conformément à nos instructions, nous allons laisser sur place une vingtaine d'hommes formés à l'installation de SATCOM, et à son entretien. Il va sans dire que vous auriez vite fait de reprendre le contrôle sitôt que nous serons partis. Je pense que vous avez néanmoins conscience que le seul centre de résistance se trouve à l'autre bout du pays. Par conséquent, ce n'est pas demain la veille qu'ils pourront venir vous prêter mainforte.

Le Continent des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant