Gabriel, Enzo, Dachs et Asha s'étaient murés dans un silence confus, incapables de trouver d'explication valable à ce qu'ils venaient de voir. Des Enragés en uniforme de liquidateur...
Le commandant ne leur avait guère laissé le temps de chercher davantage. Un soldat était entré dans la chambre et les avait expédiés en cuisines, eux et les autres salopards, pour aider à la préparation du repas du soir. Une « punition de merde pour ado boutonneux », ainsi que l'avait décrit Enzo, qui se révélait, aux yeux de Gabriel, somme toute bien frustrante. Lui, l'assassin méthodique, le tueur à gages qui avait mis fin à une vingtaine de vies sans ciller, réduit à jouer les marmitons, à faire la popote pour une bande de militaires déglingués.
— Moi ça me va, dit Dachs comme s'il devinait les pensées de Gabriel. J'aime bien cuisiner. Crois-moi, avec moi aux fourneaux, on mangera autrement mieux qu'avec ces rations dégueulasses. Donnez-moi un peu de viande, quelques légumes, et je vous prépare un festin, mes amis !
Le militaire qui les escorte ricane tandis qu'ils pénètrent dans l'immense cuisine. Une bonne douzaine de civils y sont déjà à l'ouvrage.
— T'as de la main-d'œuvre, Martha, avise-t-il une grosse bonne femme en blouse blanche. Donne-leur tes meilleurs ingrédients ! Ce soir, il paraît qu'ils nous font un festin !
Celle qui semble être la cheffe de cuisine s'esclaffe d'un rire porcin, et sort de sous son plan de travail une boîte de conserve au format improbable. Elle la lance à Dachs qui jongle une seconde avec, puis décrypte l'inscription :
HARICOTS BARBECUE
— Saveur barbecue ? gémit Dachs. Des fayots saveur barbecue ?
— C'est festin ! Mitonnez-nous bien ces bons petits légumes ! raille le soldat en les laissant face à une Martha hilare, et à une impressionnante collection de conserves.
Le reste de la journée n'avait été qu'une longue et rébarbative corvée pour les treize salopards. Elle s'était égrainée au rythme de quantités astronomiques de fayots à mélanger, de centaines de carafes d'eau à préparer, et d'une montagne de tables à aligner.
Arrivés en fin de matinée, ils n'avaient achevé d'apprêter l'immense réfectoire – ou la pièce qui avait été transformée en réfectoire – qu'en début de soirée. Ils avaient mangé sur le pouce, et servi les assiettes sous les claquements de doigts hilares des liquidateurs. Les Américains, presque revitalisés par des présences amies qu'ils n'osaient plus espérer, s'étaient joints avec plaisir aux quolibets. Le banquet, se dit Gabriel, avait finalement tous les airs d'un festin, qualité de nourriture mise à part. À l'écart, dans le bureau du capitaine Knox Marshall, une petite table ovale accueillait le commandant Benvenuto Cicerone et ses lieutenants, Wynn Cough et Zeïna Kamara. Knox, ainsi que deux de ses propres subordonnés, complétaient la scène.
Ils sourirent en écoutant les éclats de rire et les rugissements joyeux qui leur parvenaient des étages inférieurs.
— Votre arrivée fait du bien au moral de mes hommes, déclare Knox Marshall. Voilà bien longtemps que je ne les avais pas vus ainsi.
Il observe une pause, attendant une réponse qui ne vient pas.
— Un peu turbulents, tout de même. Ça ne doit pas être une partie de plaisir de parcourir les routes avec une palanquée de sauvages comme eux, poursuit-il en s'esclaffant.
Le commandant se recule dans son siège, fixant intensément l'Américain. Son visage n'exprime rien d'autre qu'un profond mépris.
— Les sauvages, comme vous les appelez, viennent de s'enfiler plus de mille kilomètres depuis Provincetown. Ça fait plus ou moins six-cents miles, pour les trous du cul dans la salle. Nous étions six-cents et nous arrivons chez vous avec seulement deux pertes humaines. Mes « sauvages » me semblent plus disciplinés, mieux armés et plus capables que vos... quoi ? Mille-cinq-cents, deux-mille troufions ici réunis ? Plus cinq-cents civils ? assène-t-il dans un reniflement de dédain.
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Le Continent des Morts
HorrorDans un futur post-apocalyptique, un virus mutant découvert sur une mer de déchets transforme les contaminés en "Enragés" : des êtres rapides, intelligents, et insatiables, bien plus dangereux que les zombies classiques. En quelques mois, l'Amérique...