Corbin serre si fort le volant que ses phalanges blanchissent. Derrière, la vingtaine de blindés qui forment la queue du convoi est également à l'arrêt. Ils contemplent, dans des gémissements de moteur, le piège qui se referme sur eux.
— C'est quoi ce bordel, rumine Dachs en jetant un œil vers l'arrière, on peut même plus reculer !
Dans la radio, des ordres sont bafouillés, tandis que les informations sont remontées au commandant. Impossible, affirment les véhicules qui se sont faufilés juste avant que le camion ne bouche l'artère, de venir en aide à ceux qui sont restés coincés. Manœuvrer est compliqué et des zombies arrivent de toutes les directions. Leur seule chance de survie serait que les mastodontes fassent demi-tour, ou trouvent une route connexe pour leur dégager le chemin. Dans tous les cas, le temps risque de manquer. Dans le Masstech, encore sous le choc, les passagers attendent la sentence dans une ambiance suffocante. Et elle ne tarde pas à venir.
— On continue jusqu'à la sortie de la ville, comme prévu. Pour ceux qui sont bloqués, tentez une autre rue. On se retrouve au point convenu, ou dans une autre vie. Bon courage.
La radio s'éteint et Dachs vocifère :
— Quelle autre rue ? On a passé le dernier croisement y'a cent-cinquante mètres. On peut même plus reculer, bordel !
À l'arrière en effet, toute retraite est coupée. L'immense muraille de morts-vivants converge vers eux. À l'avant, le bahut, affalé au travers de la route comme un éléphant mort, bloque toute avancée.
Le silence s'installe dans le Masstech, et on le devine aisément se propager dans les autres voitures de l'arrière-garde.
— Faut bouger le camion, dit Gabriel, qui commence à comprendre ce que ressent un insecte pris au piège sous un verre... Pas le choix.
— Pas le choix, confirme Asha en contemplant l'énorme carcasse du trente-huit tonnes. En espérant qu'il roule encore, grimace-t-elle en désignant la fumée de plus en plus noire qui assombrit le ciel.
Elle saisit la radio et annonce, en changeant de canal pour ne cibler que les véhicules de queue :
— Regroupez-vous ! Placez les bagnoles en bouclier. Deux qui restent à l'intérieur pour arroser au travers des vitres. Les trois qui ne peuvent rien faire sortent, et tirent depuis le couvert des bagnoles. Je veux un feu nourri et permanent.
Elle émerge du blindé alors que, partout autour, les portières libèrent les liquidateurs résolus. Ils se déploient en un instant, déversant des rafales sur quelques zombies solitaires qui se jettent sur eux avec des grognements carnassiers. Le barrage de voitures forme un abri précaire, mais bienvenu. Un groupe conséquent est déjà presque à portée de couteau. Non loin, la marée terrifiante continue sa progression. Les détonations s'intensifient sous les cris des soldats qui s'invectivent, se relayant aussi efficacement que possible pour repousser les assauts, et se préparer à l'arrivée de la horde. L'atmosphère se sature d'une écœurante odeur de poudre.
— Ok, ça sent l'Enragé, les gars, décrète Asha tandis que son groupe est rejoint par les occupants des deux véhicules qui les précédaient. Un piège comme ça... On va tenter de bouger le camion. Rien n'en est sorti depuis qu'il a déboulé, mais méfiez-vous. On a déjà vu un de ces tas de merde à l'œuvre.
— Vu l'état, putain, ce sera un miracle qu'on puisse le faire reculer, gronde un petit type trapu.
— T'as une autre idée ? Si tu veux repartir par où on est venus, fais comme chez toi, riposte-t-elle en désignant la foule qui fond sur eux. On parle plus d'une question de survie. C'est juste une question de temps. Alors au boulot.
Gabriel, Dachs et Enzo filent déjà sur le camion. Une petite dizaine de soldats leur emboîte le pas. Leur cible n'est qu'à quelques mètres et aucun zombie ne leur barre la route. Ils semblent presque avoir volontairement laissé filer la majorité du convoi pour les prendre en tenaille. La surprise n'en est plus une. Depuis l'épicerie, ils savent de quoi sont capables ces enfoirés. La question, c'est « combien d'Enragés, et où sont-ils maintenant ? »
La cabine du poids lourd semble vide, mais n'inspire rien de bon. La portière fermée est ratatinée, et s'est incrustée dans le montant telle une pièce de puzzle placée au mauvais endroit. Impossible à ouvrir, ça saute aux yeux. La vitre, qui s'est brisée en mille morceaux sous l'impact, offre toutefois un passage béant. Le petit groupe de Gabriel ralentit alors que quelques zombies apparaissent, émergeant de sous le camion comme des clowns à ressort d'une boîte de farces et attrapes. D'autres se faufilent de chaque côté du semi. S'il ne laisse guère de place aux voitures pour le contourner, il n'empêche pas les morts-vivants de plonger dans les brèches.
Les liquidateurs s'immobilisent à quelques pas de la lourde carcasse. Gabriel, d'un geste, fait signe aux autres de le couvrir tandis qu'il s'engage sur les derniers mètres. Il grimpe sur le garde-boue massif d'une roue gigantesque. Il ignore le bruit de tôle qui grince sous son poids, et tend le cou pour jeter un œil à l'intérieur. Les détonations se font plus pressantes. Il évacue d'un coup de pied une mâchoire aux crocs jaunâtres qui surgit du fond de caisse, apparaissant presque directement sous ses semelles. Un cadavre le survole au même instant dans un arc de cercle grotesque pour s'écraser au sol. Le corps est criblé de balles, et le crâne est en charpie. Il tourne la tête, et aperçoit Enzo, blême, qui pilonne le toit du camion. Les doigts du jeune homme tremblent sur la gâchette. Gabriel se réjouit néanmoins de le voir ici, à le couvrir, plutôt que recroquevillé dans le Masstech. Il s'assure une seconde fois que la cabine n'est pas occupée et s'engouffre à l'intérieur. La vitre passager, largement fissurée, a malgré tout résisté au choc. Le reste du convoi n'est plus qu'un point à l'horizon, substitué par un petit groupe de zombies, qui grossit à vue d'œil.
— Les mastodontes ont bien nettoyé la zone de l'autre côté, mais ça recommence à se remplir. On a peu de temps avant que ce soit aussi impraticable que là-bas, hurle-t-il à l'attention de ses alliés, désignant la marée de chair pourrie qui s'apprête à déferler sur leurs maigres lignes défensives.
Il jure et enlève une énorme brique de l'accélérateur.
Les soldats qui servent d'ultime rempart épuisent leurs chargeurs à une vitesse alarmante. Une cinquantaine de zombies se ruent sur eux. Sur le plan du nombre, les liquidateurs rivalisent largement. Ils sont près du double. Ils mitraillent et les rangs des assaillants s'éclaircissent rapidement. Ce petit groupe n'est rien. Derrière, cependant... À une dizaine de mètres seulement...
Il leur semble que la moitié de la ville fonce sur eux. Les morts-vivants progressent implacablement, sans peur, sans autre objectif que le repas qui leur tend les bras. Les balles déchirent les membres et traversent les chairs, mais les créatures continuent d'avancer, trébuchant sur leurs propres morts pour combler la distance qui les sépare des blindés. Ils ne sont plus qu'à quelques pas. Un liquidateur rugit pour se donner du courage, se redresse brutalement, et escalade le véhicule qui lui servait de couverture. Il se plante sur le toit, dominant la foule hurlante, avec une vue imprenable sur les crânes des monstres qui s'empileront bientôt à ses pieds. Il pilonne droit devant, sans même viser, provoquant une explosion de cervelles grisâtres. Son cri se répercute chez une bonne quinzaine de troupiers qui l'imitent aussitôt. Au sol, les autres soldats tirent dans les interstices de la barrière de métal. Le rideau de balles qui déferlent de terre comme du ciel semble infranchissable. Les zombies ne font pourtant pas même mine de vouloir reculer. La vague s'écrase enfin contre la muraille, dans une cacophonie de grognements et de crissements de griffes.
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Le Continent des Morts
HorrorDans un futur post-apocalyptique, un virus mutant découvert sur une mer de déchets transforme les contaminés en "Enragés" : des êtres rapides, intelligents, et insatiables, bien plus dangereux que les zombies classiques. En quelques mois, l'Amérique...