Chapitre Trois.

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Les nuages gris qui surplombent Manhattan font écho à l'humeur massacrante de Louis. Il n'a pas dormi, il a mal, il n'a pas croisé son patron et ne comprend rien au dossier posé devant lui. Pourtant il est dessus depuis huit heures ce matin ; il a bu même quatre cafés pour tenir le coup.

Seulement tous ces termes techniques et juridiques, tous ces « cassation » ; « partie civile » ; « substitut » ; « tutelle » ; ça ne veut plus rien dire. Tout s'embrouille pour ne former qu'une suite de lettres incompréhensibles et impossibles à déchiffrées sans pierre de Rosette. Sans dictionnaire Harrap's.

Et c'est à cause de la douleur, tout ça. C'est à cause de l'élancement le long de son mollet, des fourmis dans sa cuisse : sa cheville a doublé de volume dans la nuit malgré le bac de glaçon dans lequel il l'a plongé la veille.

Elle n'est pas cassée cependant, il en est certain puisque qu'il peut la bouger, en grognant de douleur, certes, mais il le peut. Alors s'il s'est juste foulé la cheville, il n'a pas besoin d'aller voir un médecin. Il déteste ça de toute façon.

Il déteste ça depuis que Léo a fait sa première crise d'asthme à deux ans, en pleine nuit, et qu'il a atterri à l'hôpital in-extremis. Il déteste ça depuis qu'Harry et lui ont dû patienter pendant des heures dans une salle d'attente sans nouvelles. C'est là qu'il a fait sa première crise de panique ; à l'hôpital, dans les bras d'Harry.
Depuis ce jour, toute personne en blouse blanche sentant la mort et les antidépresseurs, c'est synonyme de malheur.

Alors Louis n'a pas besoin de médecin ; sa cheville guérira toute seule, et il s'achètera simplement des lunettes pour aller courir.

Mais plus cette conclusion lui trotte dans la tête, et plus il se demande si les lunettes l'aideront vraiment :
Il n'est pas tombé parce qu'il ne regardait pas où il allait. Il est tombé parce que le visage dans sa tête est devenu trop fort, trop présent. Il l'a tout simplement embarqué dans ses souvenirs en lui faisant quitter la réalité.

Et c'est ça, qui l'a fait tomber.
C'est le visage d'Harry.

_Bonjour ! annonce soudain une voix en le ramenant au moment présent.

Il sursaute mais ne relève pas les yeux des mots qu'il n'a cessé de relire depuis ce matin parce qu'il sait très bien qui est devant lui.
Et c'est à croire qu'il ne faut détester personne sur cette planète ; ou aimer détester quelqu'un. Parce que peu importe l'identité de cette personne, elle se trouvera toujours sur votre chemin.

_Comment vas-tu ? retente l'intrus en entrant sans y être invité.

L'agitation et l'irritation dont faisait déjà preuve Louis s'accentue et il se mord la lèvre jusqu'au sang, soulevant une feuille de manière agacée.

_Tu n'étais pas là, hier après-midi ?

Son corps se fige et il relève la tête, imperceptiblement.

_Pardon ?

_Je suis passé te voir hier, comme j'étais dans le coin et -

_T'es toujours « dans le coin » de toute façon. T'as pas de boulot, Miles ?

Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres et il fait fi du timbre froid et provocateur de Louis.

_T'étais pas là, hier.

Il appuie bien sur la négation et le fixe effrontément, comme si le détruire à petit feu, c'était son lot de bonheur quotidien ; comme si empoisonner la vie d'un homme, c'était sa passion, ce pour quoi il était né.

_Non, répond donc posément la voix de l'anglais en reculant son siège. Non, je n'étais pas là.

Miles jette un œil en arrière, dans le couloir, pour s'assurer que personne n'est là, aux aguets, à l'affût d'un moindre ragot, puis il referme le battant d'un coup sec.

The perfect sky is Torn.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant